Iran : les Etats-Unis rajoutent des sanctions ciblées

Le Trésor américain continue de sanctionner Téhéran et ses alliés. Les Européens patinent sur l’élaboration d’un véhicule financier qui leur soit propre.

Comme un métronome. En parallèle à la restauration des sanctions contre l’Iran par les Etats-Unis le 5 novembre dernier qui a notamment touché la vente de pétrole, les transports maritimes et avions iraniens, des banques et 700 individus, le Trésor américain a poursuivi une stratégie de sanctions ciblées. Le 16 octobre, il a ainsi bloqué les actifs de plusieurs établissements financiers dans l’orbite de la  Fondation coopérative Basij, accusée de financer le corps des gardiens de la révolution et le recrutement d’enfants soldats. Le 13 novembre, le Trésor a également bloqué  les actifs de quatre membres du Hezbollah développant des réseaux financiers et d’action en Irak.

« Ils soutiennent les actions terroristes en faisant de la contrebande de pétrole », a expliqué à Paris Sigal Mandelker, sous-secrétaire au Trésor en charge du terrorisme et de l’intelligence financière. Elle arrivait d’une tournée de cinq jours qui l’a menée de Londres à Berlin, Paris et Rome où elle notamment rencontré les milieux d’affaires pour redire le sérieux des sanctions américaines. « Nous allons les faire strictement respecter », a-t-elle prévenu, afin de pouvoir renégocier l’accord sur le nucléaire iranien ».

Pas d’hébergeur

Cherchant à préserver l’accord nucléaire et à éviter les sanctions secondaires américaines,  les Européens souhaitent développer depuis septembre un véhicule financier qui pourrait aider surtout les petites entreprises n’ayant pas d’intérêts aux Etats-Unis à commercer avec l’Iran. Mais ce « Special Purpose Vehicle » (SPV) est difficile à concevoir et à mettre en place d’autant qu’aucun pays ne souhaite l’héberger. L’Autriche s’y est refusée et, selon l’agence Reuters, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne (signataires de l’accord nucléaire) font maintenant pression sur le Luxembourg et pourraient aussi solliciter la Belgique.

A Paris la semaine dernière, Kamal Kharrazi, président du conseil stratégique des relations étrangères de la république islamique d’Iran et ancien ministre des Affaires étrangères, constatait « qu’avoir un passeport iranien est maintenant devenu un délit pour les banques ! ». La Bundesbank vient en effet de refuser le versement de 300 millions d’euros de la banque Europaeische-Iranische Handelsbank à un Iranien pour préserver les relations avec les Etats-Unis.

Isolement

Les sanctions américaines font leur effet et Kamal Kharrazi a prévenu : « tant que l’accord nucléaire permet de préserver les intérêts iraniens, nous resterons. Mais si l’Europe ne tient pas ses engagements, nous sortirons. Et quels effets cela aura-t-il sur le contexte sécuritaire de la région ? ». Accusé de plusieurs actions terroristes ces derniers mois en Europe (Danemark, France) dont un attentat fomenté lors d’un rassemblement des Moudjahidines du peuple à Villepinte, Teheran se défend. « C’est un piège très bien planifié à un moment où l’Iran et l’Europe doivent décider de leur avenir », a-t-il déclaré.

Le 18/11/2018, Les Echos

Virginie Robert

Renaud Girard: «Influence au Moyen-Orient, nucléaire, les mollahs à l’heure des choix en Iran»

Iran : les mollahs à l’heure des choix

La population iranienne n’a pas de chance. Aux élections présidentielles de 2013, puis à celles de 2017, elle s’était prononcée pour l’ouverture du pays. Dans le maigre choix que lui offrait le système théocratique conservateur en place, elle avait choisi le candidat le plus décidé à réintégrer la Perse dans l’arène internationale. Dans son premier mandat, le président Hassan Rohani avait obtenu une levée des sanctions internationales, en échange d’un encadrement étroit de son programme nucléaire par l’AIEA (Agence international pour l’énergie atomique de Vienne) et d’une renonciation à la bombe atomique (que le régime islamique prétend n’avoir jamais voulue). Washington et Téhéran n’avaient pas repris leurs relations diplomatiques (rompues en 1980 pendant la Révolution islamique), mais le Secrétaire d’Etat Kerry et le ministre des affaires étrangères Zarif avaient établi entre eux des liens de grande confiance.
Rohani souhaitait consacrer son second mandat à la désétatisation de l’économie et à la lutte contre la corruption – qui ronge l’élite au pouvoir, à commencer par le corps des Pasdarans (Gardiens de la Révolution), et certaines des grandes fondations religieuses chiites. Mais, patatras, tout ce beau programme s’est effondré après la décision de Trump de se retirer de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 (pourtant sanctuarisé par la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’Onu), de rétablir toutes les sanctions, de menacer de représailles toutes les entreprises qui continueraient à commercer avec l’Iran (hormis les secteurs agro-alimentaire et pharmaceutique). Depuis novembre 2018, la République islamique d’Iran vit à nouveau sous un régime de sanctions. Sa monnaie a perdu les deux tiers de sa valeur en un an. Ses exportations de pétrole sont déjà passées de 2,5 millions de barils/jour à moins d’un million et demi. Confrontées aux menaces américaines, les sociétés françaises Total, Peugeot et Renault se sont retirées d’Iran. Les perspectives ne sont pas gaies pour ce pays de 80 millions d’habitants, dont les deux tiers n’étaient pas nés lorsque le Shah fut renversé en faveur de l’ayatollah Khomeiny.
Lors de la dernière Assemblée générale de l’Onu, Rohani s’est montré un ardent défenseur du multilatéralisme. Mais le soutien iranien à la légalité internationale arrive trop tard. Téhéran se retrouve face à une Amérique intraitable, inspirée autant par les Saoudiens que par les Israéliens. Pour les Iraniens, il a déjà été très douloureux de renoncer à l’arme nucléaire, que détiennent quatre puissances dans leur voisinage immédiat : la Russie, Israël, le Pakistan et les Etats-Unis (dont la Cinquième Flotte est basée au Bahreïn). Mais le président Trump réclame davantage du régime des mollahs : il veut que Téhéran renonce à perfectionner ses armes balistiques et à exercer une influence militaire régionale (présence armée en Syrie, fournitures d’armements au Hamas, au Hezbollah libanais et aux houthistes yéménites). L’Amérique se plaint plus discrètement de la présence militaire iranienne en Irak, car Washington et Téhéran y poursuivent un objectif commun : l’élimination de l’Etat islamique.
Le problème des mollahs est qu’ils ne parviennent pas choisir entre deux stratégies très différentes : retrouver une position commerciale prééminente au Moyen-Orient et en Asie centrale ou conserver, par la force des armes et des milices, une politique hégémonique sur les territoires qui les séparent de la Méditerranée.
Lassée de l’anémie économique, la jeunesse iranienne a déjà fait son choix. Au début de janvier 2018, dans des manifestations anti-régime qui se sont propagées dans la plupart des villes du pays, elle défilait en hurlant : « Pas Gaza ! Pas la Syrie ! Occupez-vous de l’Iran ! ». Les étudiants que vous rencontrez dans la rue à Téhéran vous confient tous qu’ils n’ont rien contre Israël et qu’ils ne partagent pas l’obsession antisioniste du régime. Connectés au monde extérieur grâce à Internet, ils adorent la culture occidentale.
Lorsque les manifestants de l’hiver dernier ont commencé à crier dans la rue « Mort au dictateur ! », visant l’Ayatollah Khamenei, le Guide suprême de la Révolution (dont le pouvoir, dans le système iranien, est bien supérieur à celui du Président), le régime a vraiment pris peur. La répression fut sévère (25 morts), et on ferma le réseau Telegram, utilisé par les manifestants. Depuis Rohani l’a rouvert, passant outre l’autorité judiciaire, plus conservatrice que lui.
Il y a une schizophrénie iranienne : le régime est islamique, sa jeunesse ne l’est plus. Les mosquées sont quasi-vides à la grande prière du vendredi. L’Iran est devenu le moins pratiquant des pays musulmans. Plus personne ne croit à la pertinence du principe khomeyniste du Velayat-e-faqih (le gouvernement du savant en religion). S’il ne s’adapte pas rapidement à ce que réclame sa société civile, le régime des mollahs risque de connaître bientôt le sort de feu le communisme soviétique.

Le 19/11/2018, Le Figaro

Renaud Girard

La Chine cherche le soutien des Philippines pour avancer ses pions en mer de Chine

Les promesses d’investissements de Pékin convainquent le président Rodrigo Duterte de se tenir à un ton conciliant.

Par Frédéric Lemaître et Brice Pedroletti

Publié le 21 novembre 2018, Le Monde  

Après la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le sultanat de Brunei, le président chinois, Xi Jinping, s’est rendu mardi 20 et mercredi 21 novembre en visite aux Philippines auprès du nouveau soutien régional de Pékin : le président Rodrigo Duterte. Une première pour un chef d’Etat chinois depuis treize ans.

Autant d’étapes qui montrent que, malgré les critiques américaines, la Chine n’a aucunement l’intention de renoncer à son projet d’investissements internationaux des « nouvelles routes de la soie ». L’étape philippine est stratégiquement importante car Manille est un allié de longue date des Etats-Unis.

L’un des vingt-neuf accords conclus au cours de cette visite concerne l’exploration conjointe du pétrole et du gaz dans les eaux litigieuses de la mer de Chine du Sud, encore au stade de protocole d’accord. « Si cela aboutit, Pékin marque un point, car il cherche depuis longtemps à mettre en place ce type de cadre avec des pays riverains. Les Vietnamiens ont toujours refusé, par exemple »,explique Jean-Pierre Cabestan, de l’université baptiste de Hongkong.

Pour la Chine, l’intérêt est de préparer le terrain pour des arrangements similaires avec les autres pays riverains qui contestent ses revendications maritimes en mer de Chine du Sud. M. Xi s’est donné trois ans pour mener à bien l’élaboration d’un « code de conduite », une sorte de pacte de non-agression, discuté de longue date, avec les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.Rodrigo Duterte a fait montre, dès son élection en 2016, d’une grande prévenance envers Pékin : il a décidé d’ignorer la décision, tombée quelques semaines après sa victoire, de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye qu’avait saisie son prédécesseur, Benigno Aquino, après l’occupation par la Chine de l’atoll de Scarborough en 2012, à 220 km à peine des côtes philippines. Celle-ci avait donné raison à Manille en statuant que les revendications de Pékin en mer de Chine méridionale n’avaient « aucun fondement juridique ».

M. Duterte s’était justifié au motif qu’aucune entité ne pouvait faire appliquer la décision. En octobre de la même année, il se rendait à Pékin avec l’ambition ouverte d’y signer des contrats, annonçant solennellement, pour le plus grand plaisir de son hôte, sa « séparation » d’avec les Etats-Unis.

[…]

Mounting tension in Asia

The Asia-Pacific Economic Cooperation forum, or APEC, has 21 members throughout the Pacific Rim in Asia, Australia, Oceania and the Americas. The purpose of the organization, founded on the initiative of Japan, Australia and the U.S., is to promote free trade in the region. It is a loose association and its resolutions are nonbinding.

Last week, APEC held its annual summit in Port Moresby, the capital of Papua New Guinea. For the first time in the organization’s history, no common statement could be issued. The main reason for this was that Chinese President Xi Jinping and U.S. Vice President Mike Pence used the meeting as a platform to argue over their countries’ differences.

The allegations are substantial – especially those the U.S. has made against China – and the incident made even clearer the deep rift between the two countries. Besides old issues such as China’s theft of intellectual property and its economic espionage, the main American charge was that China, with its Belt and Road Initiative (BRI), has created several dependent states.

For his part, President Xi (hypocritically) criticized U.S. protectionism. But the biggest issue for China is that it believes Washington and its allies have worked to contain it, both politically and economically. It is true that the U.S. has engaged in this strategy – and it is a normal reaction from a hegemonic power toward a rising, assertive power. It must also be acknowledged that China’s attempt to fully control the South China Sea violates international rules.

Containment strategies

The American strategy to contain China is nothing new. Access to the Pacific Ocean is controlled by U.S. allies, starting with Japan and South Korea in the north, moving south through Okinawa, Taiwan, the Philippines and Singapore. Indonesia and especially Vietnam are also concerned about China becoming too powerful. Ironically, for all these countries – except Japan and Singapore – China is their largest trading partner. In fact, the Trans-Pacific Partnership (TPP), which would have created a free trade area between the U.S., Canada and some Latin American countries with Japan, South Korea and Southeast Asian states, was also aimed at containing China in terms of trade. It was a flagship project of the Obama administration, though President Trump pulled the U.S. out of the initiative.

As a counter to China’s BRI, the U.S. proposes the “Free and Open Indo-Pacific” strategy, which heavily involves Japan, India and Australia. It is seen as an association of democracies, assuring the economic and trade links between the Pacific and the Indian Ocean. The project is especially interesting for Indonesia, the world’s fourth-largest country in terms of population, whose archipelago of thousands of islands separates the two oceans.

India plays a big role in this strategy. During the Cold War, New Delhi leaned more toward the Soviet Union than the U.S. This has changed, especially due to India’s increased concerns about China. India sees China as a threat to its territorial integrity across the Himalayas, worries about Beijing’s political and economic flirtation with Pakistan and has begun to challenge China’s rising naval presence in the Indian Ocean.

Sino-Indian tensions manifest themselves on the countries’ border along the Himalayas. But there are other indicators. Take the Maldives, for example, a group of islands that so far has only held an attraction as a tourist destination. However, islands always have a strategic use as naval bases, or as U.S. General MacArthur once put it, “unsinkable aircraft carriers.” Last December, the Maldives signed a free trade agreement with China. After a visit from Indian Prime Minister Narendra Modi, the Maldives canceled the deal on the unconvincing pretext that the trade imbalance between it and China was too big.

Another move aimed at limiting China’s hegemonic ambitions is the Quadrilateral Security Dialogue, a military collaboration initiated in 2007 by Australia, India, Japan and the U.S.

U.S. President Donald Trump and President Xi will meet next week at the G20 summit in Buenos Aires. The antagonistic rhetoric used in Port Moresby could allow both countries to climb down and make a deal. Against all G20 conventions, Presidents Xi and Trump have agreed to meet face-to-face for dinner, showing their intention to come to an understanding. Although such an agreement would only be temporary, due to the superpowers’ diverging long-term strategic interests, such meetings will become more frequent, so as to avoid escalating tensions.

22 november 2018, GIS Reports Online

Prince Michael of Liechtenstein

La cyberguerre, au cœur de la polémique Trump-Macron

En atterrissant sur le sol français le vendredi 9 novembre 2018, Donald Trump a émis un tweet peu amène pour son hôte : « Le président français Macron vient de suggérer que l’Europe développe sa propre capacité militaire, pour se protéger des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie. Quelle insulte ! » Il se référait à une intervention d’Emmanuel Macron sur Europe 1, incitant l’Europe à se protéger de « la Russie, de la Chine et même des Etats-Unis ». Bien sûr, le président français n’a jamais redouté une quelconque agression militaire des Etats-Unis contre la France, les deux nations étant les plus vieilles alliées du monde. En fait, la citation incriminée faisait suite à une mention par Macron des menaces cyber pesant sur l’Europe.

De fait, le système informatique de l’Elysée a été piraté par la NSA (National Security Agency, institution américaine d’écoutes et d’espionnage informatique planétaires, dotée d’un budget annuel de 12 milliards de dollars). C’était en avril 2012, entre les deux tours de la présidentielle française. De même, en octobre 2011, une conversation téléphonique de la Chancelière allemande avec son chef de cabinet est interceptée et transcrite par la NSA, comme le révélera en 2015 le transfuge Edward Snowden.

Le malentendu franco-américain a été clarifié entre les deux présidents le 10 novembre. Macron a rejoint son homologue américain sur la nécessité d’une augmentation de l’effort européen de défense. Mais le président français a également insisté sur l’urgence d’une autonomie stratégique européenne. Cela concerne en particulier le nouveau et essentiel domaine de la cyberdéfense.

Dans le champ de bataille nouveau qu’est la cyberguerre, Emmanuel Macron agit de manière similaire à Charles de Gaulle sur le nucléaire. Il privilégie le développement des capacités du Commandement de Cyberdéfense (qu’on appelle « COMCYBER » à l’Etat-major des armées). Ce commandement est chargé à la fois de protéger contre tout hacking l’ensemble des systèmes informatiques de la défense française, et de mener le cas échéant des actions cyber-offensives contre tout agresseur, étatique ou non.

En même temps, le président français a présenté, le lundi 12 novembre, au « forum de gouvernance de l’Internet » à l’UNESCO, l’« Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace » . Cette déclaration a reçu l’appui de grandes entreprises du numérique et de nombreux Etats, à l’exception notable des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine… C’est un code de conduite, que l’on peut comparer à la Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. Il s’agit de protéger tous les acteurs civils des « activités malicieuses en ligne ». Deux exemples parmi d’autres d’activités malicieuses s’étant déjà produites : le hacking de systèmes de distribution électriques et les tentatives d’interférence dans les processus électoraux.

Au temps de la guerre froide, les Américains, les Russes et les Chinois ne pouvaient s’affronter directement en raison du risque d’escalade nucléaire ; ils se combattaient par « proxies » (Vietnamiens, Angolais, Afghans, etc.). Aujourd’hui, la cyberguerre non létale devient le mode offensif privilégié des grandes puissances. Ce nouveau champ stratégique est remarquablement analysé dans un livre publié le 9 novembre aux Editions du Cerf : Cyber, la guerre permanente, par Jean-Louis Gergorin et Léo Isaac-Dognin.

Les Etats-Unis ont vécu dans l’illusion que leur domination du cyberespace était éternelle grâce à la force de leurs multinationales du numérique et aux capacités gigantesques de la NSA. Leur réveil a été douloureux en 2012, lorsqu’ils ont constaté que l’Iran avait réussi à perturber les systèmes informatiques de grandes banques de Wall Street, en représailles au sabotage en 2010 des centrifugeuses iraniennes d’enrichissement de l’uranium par le virus américano-israélien Stuxnet. Percevant tardivement l’étendue du cyber-espionnage industriel chinois, le président Obama a obtenu en septembre 2015 du président Xi Jinping l’engagement d’arrêter ces pratiques au niveau étatique. La guerre commerciale lancée au printemps 2018 par Trump a rendu inopérant l’engagement chinois.La souffrance des Américains est devenue insupportable lorsqu’ils se sont aperçus en 2016 que les Russes avaient réussi à pirater les fichiers du parti démocrate et du directeur de campagne d’Hillary Clinton, pour diffuser leurs secrets sur les réseaux sociaux juste avant le scrutin présidentiel du mardi 8 novembre.

Soumise aux sanctions, la Russie considère les cyber-offensives comme un moyen de rétablir le rapport de force avec les Etats-Unis, dans la perspective toujours souhaitée d’un accord bilatéral.

Thierry de Montbrial : « L’Europe ne peut pas se construire contre les nations »

« Le déficit de l’Europe n’est pas un déficit démocratique mais un déficit d’efficacité », estime Thierry de Montbrial, pour qui l’avenir de la construction européenne revêt un enjeu mondial. La vision court-termiste de Donald Trump va susciter une prise de distance générale vis-à-vis des Etats-Unis.

Le XXIe siècle va-t-il s’articuler sur la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine ?

C’est une certitude pour les trente prochaines années. Nous serons alors en 2049, c’est-à-dire le centenaire de l’avènement de Mao Zedong au pouvoir. Depuis Xi Jinping, les communistes chinois ont cessé de faire profil bas et  affichent leur intention de devenir la première puissance mondiale . Ils cherchent à se doter de tous les moyens à cette fin, en particulier technologiques et militaires. Ils ont durci très fortement leurs positions, comme sur la mer de Chine méridionale. La compétition entre les Etats-Unis et la Chine va donc dominer ces trente prochaines années. Ce n’est pas vraiment une surprise. Quand George W. Bush a été élu, le premier dossier que le patron de la CIA lui a remis concernait la rivalité avec la Chine. Cette priorité est passée au second plan après les attentats du 11 septembre 2001.

Est-ce que le président américain parvient à recréer de l’équilibre avec la Chine avec sa guerre tarifaire ?

Trump a choisi l’attaque frontale sur le plan commercial.  Il utilise la politique économique comme une arme . Mais il n’obtiendra que des résultats de court terme. Tous les pays sont en train de se rendre compte qu’ils se sont beaucoup trop mis sous la dépendance américaine. Les Chinois, dans l’affaire ZTE, ont dû supplier les Américains de les exempter de sanctions faute de quoi ils n’avaient plus accès aux semi-conducteurs.

Ne doutons pas qu’ils voudront s’organiser pour diminuer beaucoup plus vite que prévu leur dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. L’autre aspect est monétaire. Cette prise de conscience, dont le système Swift est une facette, que toutes les transactions en dollars passent un moment ou un autre par un segment qui les met sous la dépendance du droit américain, fait que tout le monde va vouloir en sortir. Même les Européens. Ma prévision, c’est la mort du dollar comme monnaie de réserve unique dans le monde. Cela prendra peut-être vingt ou trente ans. Il faudra du temps. Mais ce sera la conséquence inéluctable de la guerre commerciale tous azimuts, de la mise en péril du multilatéralisme économique,  de l’utilisation de plus en plus systématique du dollar comme une arme , par exemple pour soumettre les alliés des Etats-Unis à une politique qu’ils désapprouvent sur l’Iran. La dénonciation unilatérale de l’accord de 2015 sape la crédibilité américaine sur le long terme. On risque de le voir au sujet de la Corée du Nord. Le moment venu pour conclure un traité, Kim Jong-un, à qui je décernerais le prix Nobel de la stratégie s’il existait, demandera des gages sur la qualité de la signature américaine. La loi du plus fort peut donner l’apparence que Trump est gagnant, en tout cas à court terme, mais à long terme ses effets seront désastreux. Le problème de Trump, c’est que sa vision est étroite.

La Corée du Nord a-t-elle une stratégie cohérente ?

Sa stratégie vient de loin. Après la mort de son père, Kim Jong-un élimine physiquement ses adversaires, y compris son demi-frère. Cela a d’ailleurs fait enrager les Chinois car ce demi-frère était leur solution de rechange. Acte II, il démontre pendant des mois qu’il a de vraies capacités nucléaires et de projection, même si elles sont loin d’être parfaites. Ayant jugé ses objectifs atteints, il se dit prêt à parler. Après avoir échangé tous les noms d’oiseaux avec Trump, les deux hommes engagent une discussion. Kim Jong-un devient persona grata. Il a eu une chance, c’est  l’arrivée de Moon Jae-in à la tête de la Corée du Sud, un homme qui veut à tout prix résoudre le problème de la péninsule coréenne . Leur entente neutralise Trump. Kim Jong-un peut maintenant prendre son temps. La Chine le courtise de nouveau. La Corée est entourée géographiquement par trois mammouths : la Chine, la Russie et le Japon. Auxquels se sont ajoutés les Etats-Unis. Les Coréens savent manipuler les géants et jouer les uns contre les autres. Séoul et Pyongyang jouent actuellement de concert. Une des conséquences est que, pour rester dans le jeu, Tokyo devra financer une partie importante de la reconstruction de la Corée du Nord. Sur le long terme, le processus conduira à une certaine marginalisation des Etats-Unis en Asie de l’Est. En tout cas, le risque géopolitique sur la Corée du Nord a beaucoup reculé.

Dans ce monde bipolaire, quel peut-être le rôle stratégique de l’Europe ?

Si la construction européenne devait commencer à se défaire, ce serait un drame pour les membres de l’Union mais aussi au niveau mondial. Il n’y a que l’Europe de l’Ouest dont la construction régionale puisse apparaître comme un contrepoids, ou à tout le moins comme une entité porteuse d’espoir pour échapper à un monde qui redeviendrait bipolaire. Voilà pourquoi l’enjeu européen est très important, pour le monde entier. Je constate que l’Europe reçoit aujourd’hui beaucoup plus d’attention que naguère.

Mais elle est fragilisée de l’intérieur par une poussée populiste…

Il faut mettre le mot populisme en italique. Il y en a plusieurs sortes. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont largement la conséquence de nos propres erreurs. Prenez la question de l’immigration. On peut sur le long terme considérer qu’en effet il y a un déficit démographique en Europe. Mais faire entrer en un an 800.000 immigrés en Allemagne ne pouvait qu’avoir des conséquences politiques néfastes. Quant aux pays d’Europe de l’Est, à peine sortis des fourches soviétiques, je ne vois pas au nom de quoi on pourrait les contraindre à absorber des réfugiés dont ils ne veulent pas. L’idée d’imposer des quotas me paraît personnellement mauvaise. La construction européenne doit respecter la réalité nationale. A travers mes voyages, je suis de plus en plus sensible à l’hétérogénéité des cultures nationales. Cela vaut aussi pour l’Europe du Sud, comme l’Italie. L’Europe ne peut pas se construire contre les nations.

Mais comment mieux intégrer ce que vous appelez les cultures nationales ?

Le déficit de l’Europe n’est pas un déficit démocratique mais un déficit d’efficacité. Sur le long terme, un régime politique ne peut pas rester légitime s’il n’est pas efficace. Il faut aussi prendre en compte la notion de dignité. De plus, la démocratie ne doit pas se confondre avec des modalités particulières. L’Union européenne doit réinventer les siennes.

Il faut mieux situer les problèmes. Si l’on n’avait pas élargi l’UE aux pays de l’Est, il est vraisemblable que les extrêmes droites seraient arrivées plus rapidement au pouvoir. L’évolution de la Pologne est inquiétante . Mais la situation en Hongrie est à mon avis différente. L’expression de démocratie illibérale doit être regardée à la lettre. La démocratie se définit par deux principes : la séparation des pouvoirs et des élections périodiques et non manipulées. Au début de la Constitution hongroise, on trouve une invocation à Dieu et au peuple hongrois. Cela peut choquer certains Français, mais on ne peut pas dire que cette Constitution n’est pas démocratique. Au fond, elle dit que l’individu n’est pas l’unique valeur et que le groupe existe aussi en tant que tel. Il faut réfléchir davantage à ces questions avant de lancer des anathèmes.

C’est-à-dire reconnaître les spécificités de chacun, comme celle de la Hongrie, par exemple, et en même temps aller vers un gouvernement européen plus efficace ?

Je pense que l’hétérogénéité des cultures est un fait. On ne peut pas le nier. Cela fait quarante-cinq ans que je fréquente assidûment les Allemands et je ne cesse de prendre davantage conscience de leurs différences. Il s’agit de faire vivre ensemble des peuples qui ne se confondent pas, sur une base volontaire et non pas par la contrainte comme dans les empires multiethniques d’autrefois. L’approche de la construction européenne doit être beaucoup plus réaliste et mieux tenir compte des sensibilités nationales. Et puis il faut s’attaquer aux problèmes de gouvernance : Schengen apparaît aujourd’hui comme une construction précipitée et en tout cas mal appliquée. Même s’agissant de l’euro, l’histoire aurait été différente si les règles de base avaient été respectées. Il y a beaucoup à réparer.

Est-ce qu’avec l’affaire Khashoggi, la modernisation de l’Arabie saoudite est un projet en péril, ou, à tout le moins, dont on voit les limites ?

MBS [Mohammed ben Salmane, NDLR] a été très largement propulsé par Donald Trump. Quand ce dernier a été élu, fin 2016, le Congrès cherchait à mettre l’Arabie saoudite au ban à cause du 11 septembre. Ce pays a soudain cessé d’être considéré comme un pays terroriste. Le décor a changé brutalement et on est passé à une alliance entre Etats-Unis, Arabie saoudite, Egypte et Israël. Cependant, MBS s’est singularisé par des actions peu réfléchies au Yémen, par la séquestration du Premier ministre libanais Hariri, par le maltraitement d’une partie de la famille royale et on le soupçonne maintenant d’avoir commandité  l’élimination de Khashoggi . Personne n’osait plus soulever la question des droits de l’homme en Arabie saoudite. Malgré la realpolitik, cela va changer. Quant au plan Vision 2030, il a été conçu par McKinsey et je ne suis pas sûr que la société saoudienne soit prête à une telle révolution en à peine plus de dix ans ! Sur le long terme, peut-être. On s’interroge sur le rôle du roi Salmane. Mon hypothèse est qu’il n’a pas entièrement perdu la main. Espérons que cette tragédie débouchera sur un changement de comportements. Il faut le souhaiter, car personne n’a intérêt à une crise majeure en Arabie saoudite.

Virginie Robert

Face à Kim Jong-un, le courage du président sud-coréen

15/10/2018, Le Figaro

CHRONIQUE – Moon Jae-in, qui a entamé une visite de huit jours en Europe, a eu le génie de saisir la main tendue par le dictateur nord-coréen Kim Jong-un.

C’est par la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, que le président sud-coréen a entamé, le 13 octobre 2018, une visite de huit jours en Europe, destinée à expliquer sa stratégie de détente et de réconciliation envers la Corée du nord. Il était important pour Moon Jae-in de parler en tête-à-tête avec Emmanuel Macron, qui jusque-là s’était montré plutôt sceptique quant aux chances de succès d’une telle démarche. Le président français avait même rappelé au Conseil de sécurité, lors de son passage en septembre à New York, son devoir de rigueur dans l’application des sanctions à l’encontre de la Corée du nord. Ces sanctions avaient pour but d’amener le régime stalinien de Pyongyang à renoncer à son programme militaire balistique nucléaire, lequel menaçait non seulement ses voisins sud-coréen et japonais, alliés des Etats-Unis, mais aussi le territoire américain lui-même.

Après l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche et de nouveaux essais militaires nord-coréens, nucléaires comme balistiques, des insultes avaient été échangées, via des twitts ou des communiqués officiels, entre le vieux président américain conservateur et le jeune leader nord-coréen communiste. En septembre 2017, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le premier avait même menacé le second de pulvériser son pays au moindre geste hostile envers les intérêts américains en Asie. En raison de la poursuite de ses essais nucléaires, le Conseil de sécurité avait alors décidé de renforcer considérablement les sanctions commerciales contre la Corée du nord. Le 27 novembre 2017, la Corée du nord procédait à tir de missile balistique à longue portée et annonçait que ses missiles pouvaient désormais atteindre n’importe quel point du territoire américain. L’US Navy envoyait une armada au large de la péninsule.

Depuis la crise des missiles de Cuba de 1962, on n’avait jamais eu aussi peur d’un déclenchement accidentel de conflit nucléaire.

Puis, enfoui dans un discours martial de nouvel an, survint un petit geste d’apaisement de la part de Kim Jong-un. Le dictateur nord-coréen proposa d’envoyer une délégation de sportifs et d’artistes aux jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, en Corée du sud, commençant le 9 février 2018. Il se déclara en outre prêt à entamer un dialogue avec Séoul. Le génie du président Moon est d’avoir su parfaitement saisir cette main tendue.

Cet avocat issu d’une famille modeste ayant fui le nord communiste peu avant la guerre (1950-1953), élu à la magistrature suprême en mai 2017, est un libéral et un catholique qui n’a jamais perdu l’espoir d’une réunification progressive de la péninsule. Praticien des droits de l’homme depuis ses années d’étudiant en droit, Moon Jae-in, aujourd’hui âgé de 65 ans, a toujours été un fervent défenseur du dialogue intercoréen. Il sait que n’est pas tenable à long terme une situation de division de la péninsule entre un sud de plus en plus prospère et démocratique – un modèle de réussite en Asie -, et un Nord de plus en plus militarisé, dont la pauvreté relative de la population ne cesse de s’accroître. Il comprend que, tôt ou tard, le régime nord-coréen tournera à la catastrophe, que celle-ci prenne la forme d’une aventure militaire extérieure ou d’une implosion du pays. Il saisit que, dans les deux cas, c’est la Corée du sud qui en subirait les premières et les plus graves conséquences.

Moon aime la paix et la recherche ; il n’est pour autant ni pacifiste ni naïf. Ayant face à lui un leader nord-coréen neuf, éduqué en Suisse, Moon pense simplement qu’il faut lui donner sa chance et accepter qu’il puisse être sincère. Après la trêve olympique, il envoya une délégation en Corée du nord, qui revint avec deux cadeaux du leader suprême : une proposition de dénucléariser la péninsule et une offre de rencontre avec le président américain. Le 8 mars 2018, à la surprise générale, et sans avoir prévenu personne, Donald Trump accepta. Le tourbillon diplomatique pouvait commencer. Le 27 avril, un sommet intercoréen se tint à Panmunjom et le 12 juin c’est la rencontre Trump-Kim de Singapour. Les Nord-Coréens font des gestes concrets : ils démantèlent un site nucléaire et un site balistique. Kim, qui a médité le précédent de Kadhafi, n’abandonnera pas du jour au lendemain son arsenal nucléaire sans de solides garanties. Pragmatique, Moon le comprend parfaitement. Aujourd’hui, il milite pour que les Occidentaux fassent à leur tour un geste à l’égard de Pyongyang, en allégeant les sanctions. Il a raison. Pour que la Corée du nord poursuive dans la voie de la dénucléarisation, il faut qu’elle ait concrètement quelque chose à y gagner.

En politique étrangère, comme le général de Gaulle nous l’a montré, il faut parfois savoir prendre de grands risques. C’est ce qu’a fait Moon. Et il est déjà, pour cela, entré dans l’Histoire.

Renaud Girard

La sécurité, première exigence des peuples

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CHRONIQUE – Les idéologues de droite, obsédés par leur culte de la liberté, et les idéologues de gauche, obsédés par leur culte de l’égalité, oublient trop souvent que ce que les citoyens demandent en premier à l’État, c’est de leur assurer la sécurité.

En votant à 46 % pour le député populiste, ancien officier de l’armée de terre, Jair Bolsonaro, le 7 octobre 2018, au premier tour de l’élection présidentielle, et en ne donnant que 29 % des voix à l’universitaire du Parti des travailleurs Fernando Haddad, la population brésilienne a-t-elle émis un vœu de retour à la dictature militaire, telle qu’on l’a connue de 1964 à 1985? Le plus grand pays d’Amérique latine aurait-il soudain tourné fasciste, comme le laissent entendre certains commentateurs? Bien sûr que non.

La preuve en est qu’aux élections législatives – qui avaient lieu en même temps – le Parti social libéral (PSL) de Bolsonaro n’a conquis que 52 sièges sur 513, un nombre légèrement inférieur à celui du Parti des travailleurs (gauche modérée, dont le chef historique, le syndicaliste Lula, président de 2003 à 2011, a été jeté en prison pour une obscure affaire de corruption). Au demeurant, le Brésil est un pays fédéral, qui connaît de très solides contrepouvoirs et ce n’est pas demain qu’il se transformera en dictature mussolinienne.

Mais il est évident que la population brésilienne a voulu, dans ce scrutin présidentiel particulier, envoyer un message très clair aux élites politiques : ras le bol de l’insécurité ! A Rio de Janeiro, il y a des quartiers entiers où la police n’ose plus entrer, même de jour. Dans les favelas, les gangs de la drogue se font la guerre dans les rues. A Sao Paolo, la capitale économique, les automobilistes ont peur de s’arrêter aux feux rouges, de peur d’un « carjacking » par des groupes de jeunes en capuches. En 2016, le Brésil a recensé près de 62000 homicides, soit sept homicides par heure en moyenne. Le taux de meurtres pour 100000 habitants est de 25,5 au Brésil. C’est le plus haut du monde. Il est cinq fois supérieur à celui des Etats-Unis, vingt-deux fois supérieur à celui du Portugal, soixante-quinze fois supérieur à celui du Japon.

Les idéologues de droite, obsédés par leur culte de la liberté, et les idéologues de gauche, obsédés par leur culte de l’égalité, oublient trop souvent que ce que les citoyens demandent en premier à l’Etat, c’est de leur assurer la sécurité. Pour leur personne, pour leur famille, pour leurs biens. L’Etat ne se définit-il pas en effet comme l’institution disposant du monopole de la contrainte légitime ? Quand un Etat n’est plus capable d’assurer la sécurité à ses citoyens, il ne mérite même plus le nom d’Etat. Sans sécurité, les valeurs républicaines de liberté et d’égalité ne signifient plus rien, car privées de terrain d’application.

Lorsque, en 2003, les Américains ont envahi l’Irak pour y renverser la dictature politique de Saddam Hussein, ils se sont félicités d’y introduire la démocratie. De fait, en janvier 2005, eut lieu l’élection d’une assemblée nationale constituante, où chaque Irakien a pu voter comme il l’entendait. Mais comme ils n’ont pas été capables, parallèlement, de maintenir la sécurité dans les rues, les Américains ont vite été détestés par la grande majorité de la population. Une mère de famille n’a que faire de son nouveau droit de vote si elle a peur d’envoyer ses enfants à l’école. Les Occidentaux néoconservateurs ont mis longtemps à comprendre que, pour les peuples d’Orient, il y avait pire que la dictature politique : l’anarchie. Et pire que l’anarchie : la guerre civile.

Aux Philippines, Ricardo Duterte, le président populiste élu à l’été 2016, mène, avec des méthodes expéditives, une guerre sans merci aux trafiquants de drogue et aux toxicomanes (qui a déjà fait plus de 4000 morts). Il dit vouloir éviter que l’archipel ne devienne un narco-Etat. Les fréquentes bavures de sa police n’ont pas rendu le président impopulaire. Il récolte des taux de popularité supérieurs à 75%. La vérité est que la population, lasse de la criminalité engendrée par la drogue, est prête à payer le prix fort pour l’extirper du pays.

Depuis peu, les électorats d’Europe occidentale sont eux aussi tentés par différents votes populistes. La faute en revient aux gouvernements qui ont dirigé le continent depuis la fin des années soixante, qu’ils fussent inspirés par le libéralisme économique ou par la social-démocratie. Naïfs quant à la nature humaine, ils ont laissé se développer des quartiers où la loi de la jungle est venue supplanter les lois républicaines. Quand la population des quartiers populaires leur a demandé une réponse à poigne, ils ont fait preuve de pusillanimité, par peur d’être traités de « fascisants » par la bien-pensance bourgeoise (protégée, elle, par son argent). Ils n’ont pas compris que, pour tuer les tentations autoritaires, les démocraties devaient à tout prix assurer à leurs administrés le premier des droits de l’homme, qui est la sécurité.

China, Japan, and Trump’s America

 

Japan’s anxieties about Donald Trump’s “America First” orientation and protectionist policies are not surprising. When two allies’ defense capacities are not symmetrical, the more dependent party is bound to worry more about the partnership.

CAMBRIDGE – The key strategic issue in East Asia is the rise of Chinese power. Some analysts believe that China will seek a form of hegemony in East Asia that will lead to conflict. Unlike Europe, East Asia never fully came to terms with the 1930s, and Cold War divisions subsequently limited reconciliation.

Now US President Donald Trump has launched a trade war with China and negotiations with Japan that take aim at Japan’s trade surplus with the United States. While the recent announcement of bilateral talks postpones Trump’s threat of auto tariffs against Japan, critics worry that Trump may push Japan closer to China, whose president, Xi Jinping, is scheduled to hold a summit with Prime Minister Shinzo Abe later this month.

The balance of power between Japan and China has shifted markedly in recent decades. In 2010, China’s GDP surpassed Japan’s as measured in dollars (though it remains far behind Japan in per capita terms). It is difficult to remember that a little over two decades ago, many Americans feared being overtaken by Japan, not China. Books predicted a Japanese-led Pacific bloc that would exclude the US, and even an eventual war with Japan. Instead, during President Bill Clinton’s administration, the US reaffirmed its security alliance with Japan at the same time that it accepted the rise of China and supported its admission to the World Trade Organization.

In the early 1990s, many observers believed that the US-Japan alliance would be discarded as a Cold War relic. Trade tensions were high. Senator Paul Tsongas campaigned for president in 1992 on the slogan, “The Cold War is over and Japan has won.” The Clinton administration began with Japan-bashing, but after a two-year process of negotiation, Clinton and then-Prime Minister Ryutaro Hashimoto issued a declaration in 1996 that proclaimed the alliance to be the bedrock of stability for post-Cold War East Asia.

There was a deeper level of malaise, however, and although it was rarely expressed openly, it related to the Japanese concern that it would be marginalized as the US turned toward China. When I was involved in negotiating the reaffirmation of the alliance in the mid-1990s, my Japanese counterparts, seated across a table festooned with national flags rarely discussed China formally. But later, over drinks, they would ask whether America would shift its focus from Japan to China as the latter grew in strength.

Such anxieties are not surprising: when two allies’ defense capacities are not symmetrical, the more dependent party is bound to worry more about the partnership. Over the years, some Japanese have argued that Japan should become a “normal” country with a fuller panoply of military capabilities. Some experts have even suggested that Japan drop some of its anti-nuclear principles and develop nuclear weapons. But such measures would raise more problems than they would solve. Even if Japan took steps to become a “normal” country (whatever that term may imply), it would still not equal the power of the US or China.

Today, Japan has a new set of concerns about American abandonment. Trump’s “America First” orientation and protectionist policies pose a new risk to the alliance. Trump’s withdrawal from the Trans-Pacific Partnership was a blow to Japan. While Abe has skillfully played to Trump’s ego to deflect conflict, acute differences remain. The Trump administration’s imposition of steel and aluminum tariffs on national security grounds surprised Abe and has fueled disquiet in Japan.

The Trump administration has also suggested that US allies in Asia should do more to defend themselves and openly questioned the value of forward deployed US forces. Some analysts wonder whether Trump’s actions will force Japan to hedge its bets and edge toward China. But that is unlikely at this stage. While such options may be explored, they will remain limited, given Japanese concerns about Chinese domination. The US alliance remains the best option – unless Trump goes much further.

Thus far, the alliance remains remarkably strong. Abe reached out early to President-elect Trump, meeting him first at Trump Tower in New York and then during visits to Washington, DC, and Mar-a-Lago, Trump’s Florida residence. The Abe-Trump relationship allowed the Pentagon to maintain close cooperation on security matters. North Korea helped focus the alliance’s attention and provided an opportunity for Trump to assure Japan that the US was behind Japan “100%.”

Abe and Trump both supported the “maximum pressure” strategy against North Korea, working hard to build international support for United Nations sanctions. Meanwhile, Japan announced a major new investment in ballistic missile defense and cooperated in its joint development. On the other hand, Trump’s surprising reversal in attitude toward North Korean leader Kim Jong-un after their Singapore summit in June raised Japanese concerns about a US deal focusing on intercontinental missiles and ignoring the medium-range missiles that could reach Japan.

Trump’s rhetoric about burden sharing has also raised concern. While Japan’s defense expenditure is little above 1% of GDP, it contributes significant host-country support. The US Department of Defense estimates suggest that the Japanese government pays roughly 75% of the cost of supporting US forces in Japan. This year alone, the Japanese government budgeted ¥197 billion ($1.7 billion) for cost sharing, ¥226 billion ($2 billion) for the realignment of US forces, and ¥266 billion ($2.3 billion) in various types of community support, among other alliance-related expenditures.

As the Clinton administration recognized a quarter-century ago, China’s rise created a three-country balance of power in East Asia. If the US and Japan maintain their alliance, they can shape the environment that China faces and help moderate its rising power. But that will depend on whether the Trump administration successfully maintains the US-Japan alliance.

Le capital-investissement défend sa contribution positive en Afrique

03 octobre 2018 à 17h41 | Par 

Les acteurs du capital-investissement africain, réunis à l’occasion d’une conférence à Paris le 2 octobre, ont rappelé l’importance de leur rôle dans le financement des économies du continent, dans un contexte où les sommes mobilisées sont en recul de presque 60 % depuis 2015.

« Les controverses actuelles sur le surendettement de l’Afrique sont un discours de lobotomie complète. Oui, certains États sont en train de se surendetter, mais les économies africaines dans leur ensemble ne sont pas financées du tout. »

C’est une position forte et à rebours du discours habituel qu’a adoptée le financier Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin et coprésident de la société de conseil SouthBridge, dans son discours d’ouverture de la nouvelle conférence « Opportunités du capital-investissement en Afrique », organisée le 2 octobre au siège du cabinet Deloitte, à la Défense, dans l’ouest de Paris.

5 % DES ENTREPRISES AFRICAINES OBTIENNENT LES FINANCEMENTS SOUHAITÉS

Devant une trentaine de participants, dont plusieurs poids lourds du métier en Afrique – dont Marc Rennard, PDG d’Orange Digital Ventures, Stéphane Bacquaert, directeur de Wendel Africa, Aziz Mebarek et Ziad Oueslati, cofondateurs d’AfricInvest, Laurent Demey, cogérant de Amethis et vice-président du Club Afrique de l’association professionnelle France Invest, et Johnny El Hachem, directeur général de Edmond de Rothschild Private Equity -, le dirigeant franco-béninoisa rappelé qu’à peine « 5 % des entreprises africaines obtiennent les financements souhaités pour leurs investissements et leurs besoins en fonds de roulement. »

Face à ces lacunes, a insisté Lionel Zinsou, le capital-investissement apporte une contribution positive (« une utilité marginale supérieure ») au financement de l’économie réelle en Afrique. Selon le vétéran du métier, longtemps président du fonds d’investissement français PAI Partners, le private equity « finance la croissance du continent et la création d’emploi, participe à l’amélioration de la gouvernance et constitue une des solutions au problème essentiel de l’expansion de l’Afrique. »

Plus de 150 sociétés de capital-investissement, dont 62 % basées en Afrique

Le secteur compte désormais plus 150 entreprises, dont 62 % comptent leur siège sur le continent, a rappelé Simon Ponroy, économiste à France Invest. Une demi-douzaine de ces sociétés, dont le panafricain Emerging Capital Partners, les britanniques Helios Investment Partners et Development Partners International comptent plus de 1 milliard de dollars d’actifs.

CES PERFORMANCES SONT TRÈS DÉPENDANTES DE ‘MÉGA-LEVÉES’

Le plaidoyer pro domo du private equity africain intervient dans un contexte délicat, marqué par la mise en liquidation du colosse dubaïote Abraaj (1,1 milliard de dollars d’actifs en Afrique), l’échec de l’aventure africaine du géant américain KKR, qui n’a réalisé qu’une seule transaction en trois ans, et les atermoiements du titan new-yorkais Carlyle, qui se plaint du montant de ses frais généraux sur le continent. De plus les sommes mobilisées ont baissé à 1,94 milliard de dollars en 2017, loin des 4,8 milliards de dollars obtenus en 2015. « Ces performances sont très dépendantes de ‘méga-levées’, parfois supérieures à un milliard de dollars, bouclées par quelques leaders du métier », a rappelé Simon Ponroy.

« L’écosystème se développe en Afrique, avec l’émergence de plus de fonds spécialisés, une meilleure qualité des équipes de gestion », a insisté Stéphane Bacquaert. Autre preuve du dynamisme du secteur, selon ses promoteurs, de plus en plus de gestionnaires d’épargne africains se laissent séduire par leurs offres.

C’est le cas notamment de la Caisse nationale de prévoyance sociale de la Côte d’Ivoire (CNPS), représentée à la conférence par son directeur général Denis Charles Kouassi, qui a confié près de 27 milliards de F CFA (41 millions d’euros) à des véhicules d’investissements dont ceux d’Amethis, de Yelen et d’AfricInvest. « Nous allons accroître les ressources dédiées à ce secteur. Et il n’est pas exclu, à moyen terme, que nous mettions en place une structure spécifique dédiée à ce type d’investissement », a dévoilé le dirigeant ivoirien.

Jean Pisani-Ferry : « 100 % de dette publique, ce n’est pas prudent »

LE MONDE |  |Par Jean Pisani-Ferry (Economiste)

Dans sa chronique, l’économiste pointe les risques pour la France d’atteindre un niveau d’endettement proche de 100 % du PIB.

Tendances France. La dette publique française frôle aujourd’hui 100 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Il est inévitable – et salutaire – que l’approche de ce seuil suscite un débat. Sommes-nous en danger ? Faut-il réduire la dette ? En suivant quelle stratégie ?

Commençons par l’évidence : il n’y a pas de risque immédiat. Nous sommes toujours dans une période de déficits sans pleurs, parce que l’Etat français emprunte sur dix ans à un taux nettement inférieur à 1 % qui ne compense même pas l’inflation. Tendanciellement, si cela continue, la charge des intérêts représentera moins d’un point de PIB, comme à la fin des années 1970 lorsque la dette ne pesait que 20 % du PIB. Certes, les taux vont remonter, mais sans doute lentement et, surtout, la maturité moyenne de la dette est de plus de sept ans : quand bien même la normalisation serait brutale, l’impact sur la charge annuelle d’intérêts demeurera graduel.

Cela n’implique pourtant pas de céder à l’insouciance. Pour deux raisons. La première est que la dette n’a guère servi à augmenter l’actif public. Il serait légitime de nous endetter pour équiper le pays, investir dans les compétences ou accélérer la transition écologique. Mais nous n’osons pas le faire. En revanche, nous le faisons sans vergogne pour consommer. Or, rien ne justifie de léguer aux générations futures un double passif, financier et écologique.

La deuxième raison est que la trajectoire de la dette est répétitive et malsaine : elle augmente par à-coups lors des récessions (+ 21 points au début des années 1990, + 9 points au début des années 2000, + 35 points entre 2007 et 2018) et au mieux se stabilise lors des périodes d’expansion. Si nous n’agissons pas, nous devrons lors de la prochaine récession choisir entre rester impuissants et franchir un nouveau palier d’endettement.

Cible de réduction

Jusqu’où un Etat peut-il s’endetter ? Ce n’est pas facile à dire. Aux lendemains…

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Europe’s Critical Election

 

Ahead of the European Parliament election in May 2019, nationalist parties across Europe are unifying behind a message that is clear, forceful, and, for many, compelling. If Europe’s defenders are to win, they will need to offer a vision that is similarly powerful – and not hide behind French President Emmanuel Macron.

MADRID – Discussions about Europe-wide elections are invariably infused with expectations of dramatic change that rarely, if ever, are met. But the upcoming European Parliament election in May 2019 may break the mold, as it could determine the outcome of an ongoing struggle between two visions for Europe’s future: progress toward greater openness and interconnectedness or a reversion to divisive and blinkered nationalism.

Previous European Parliament elections have been preceded by promises that the vote would mean something to the electorate. But, whatever structural and institutional changes have occurred, from increasing the body’s powers to introducing new campaigning procedures, the results have remained lackluster.

With voters unconvinced that European Parliament elections have any concrete impact, domestic political calculations dominate, with citizens using their votes – when they bother to vote at all – to send signals to national parties and punish incumbents. In fact, even as the European Parliament has gained more authority, voter turnout in European elections has steadily decreased since 1979, reaching a low of 42.5% in 2014.

But this year, the election really does matter. An increasingly organized coalition of nationalist forces that are hostile to European integration – and, indeed, to European values – has been gaining traction and cohesion. These forces include Fidesz in Hungary, the Law and Justice (PiS) party in Poland, Germany’sAlternative für Deutschland, the Swedish Democrats, the League in Italy, Marine Le Pen’s National Rally (formerly the National Front) in France, and Geert Wilders’ Dutch Freedom Party.

Opposition to the EU is not new; nor are nationalist parties. But these parties have deepened their cooperation with one another since the last European elections in 2014, particularly on the issue of migration. In August, Hungarian Prime Minister Viktor Orbán and Italian Interior Minister Matteo Salvini held a “summit” where they called for a united front against French President Emmanuel Macron’s pro-integration vision of Europe.

Beyond the clear irony of the far right’s internationalism, this unification of nationalist parties into a Europe-wide force is highly dangerous – not least because these forces have coalesced around a clear, forceful, and, for many, compelling message. To face the challenges of the future, they declare, Europe must return to a less uncertain time, when sovereign countries’ closed borders kept foreigners out.

The nostalgia on which these leaders successfully campaign cannot serve as a basis for policy, because the world they describe never existed. But those who recognize the far-reaching benefits of an open and forward-looking EU are struggling to make their case in a persuasive way. They, too, are focusing on the past, often citing a laundry list of accomplishments; but their version comes across as technical and bloodless. In order to convince a skeptical public that Europe’s strength lies in cooperation, European leaders need to focus on the future. They cannot simply rely on past successes. We have peace and prosperity and no more data roaming charges, but what’s next?

“More unity” is not an adequate answer, even if some treat it as one. In general, abstract and lofty visions are not good enough to compete with the simple and potent message espoused by nationalists.

This does not, however, mean that Europe’s defenders should attempt to hijack the nationalists’ vocabulary to serve a pro-European agenda, as European Commission President Jean-Claude Juncker did when he called for “European sovereignty” – whatever that is – in his recent state of the union address. Pro-European leaders cannot forge a new way forward by making themselves look more like nationalists; on the contrary, they must show just how different they are.

This means combining ideals with tangible proposals for Europe’s development. It means showing why the EU is the most viable and appealing vehicle to take Europe into an ever-more prosperous future. It means proving that the EU is better equipped than individual states to address contemporary challenges, particularly in a world in which a critical mass of power (military, economic, demographic) is increasingly necessary to have any room for maneuver. And it means convincing citizens that the EU, as a community of nations, offers the best chance to strengthen economic resilience, foster innovation, and preserve Europe’s cultures.

Macron has become the poster child for this approach. Too often, however, his is a lone voice; his fellow defenders of Europe nod quietly in agreement, but are unwilling to take political risks of their own. In the months leading up to the May election, all who believe in a European approach to European problems must step up.

The campaign is just beginning, so there is still time to change the narrative and put Europe on a path toward greater influence and increased prosperity. But the window of opportunity is closing fast. Unless those who understand the value of the EU wake up soon and respond effectively to their increasingly unified nationalist adversaries, it will be too late.

Europe faces a stark choice: Will its nation-states move forward together, building strength upon strength, or will they take separate paths, each leading to mediocrity? Believe it or not, the outcome of the upcoming election really does matter. For Europe, the stakes could not be higher.

The Case Against Climate Despair

 

The growing severity and frequency of extreme-weather events suggests that climate scientists’ nightmare scenarios must be taken seriously. Fortunately, rapid advances are being made in clean-energy technology and carbon-neutral forms of living.

STOCKHOLM – Heat waves and extreme-weather events across the Northern Hemisphere this summer have brought climate change back to the forefront of public debate. Early analyses strongly suggest that natural disasters such as Hurricane Florence – which barreled into the US East Coast this month – have been exacerbated by rising global temperatures. Though US President Donald Trump has reneged on the 2015 Paris climate agreement, the rest of the world is becoming increasingly convinced of the need to limit greenhouse-gas (GHG) emissions.

Last month, a group of climate scientists published a report in the US Proceedings of the National Academy of Sciences warning that the planet could be on a path to becoming a “hothouse” that may not be habitable for humans. The Earth has already registered the highest temperatures since the last Ice Age. But, as the report notes, what we are experiencing today will be nothing compared to what is in store if average global temperatures surpass 2° Celsius above pre-industrial levels.

At that point, the authors write, “[global] warming could activate important tipping elements, raising the temperature further to activate other tipping elements in a domino-like cascade that could take the Earth System to even higher temperatures.” The scientific debate about climactic tipping points and nightmare scenarios is ongoing. But no one can say for certain that the risks outlined in the “Hothouse Earth” report are not real.

But there is another risk: that warnings such as these will lead to despair. Numerous reports have already concluded that it will be exceedingly difficult to meet the targets outlined in the Paris agreement. But to conclude that the situation is hopeless is not just dangerous; it is also factually incorrect. After all, political and technological developments that are currently underway offer grounds for genuine hope.

At the Global Climate Action Summit in San Francisco, California, this month, there was plenty of talk about the numerous alarming reports that have come out in recent months and years. But the real focus was on the Exponential Climate Action Roadmap, a major new study showing that progress in the use of non-fossil-fuel technologies is advancing not just linearly, but exponentially.

You may not realize it, but solar- and wind-power usage is doubling every four years. If that continues, at least half of global electricity production could come just from these two forms of renewable energy by 2030. And there is no good reason to think that progress couldn’t accelerate further. Just in the past few years, there have been rapid advances in solar-energy technologies and energy storage.

The Global Commission on the Economy and Climate estimates that $90 trillion will be invested in new infrastructure around the world over the course of the next 15 years. Owing to the new technologies that are now emerging – not just in energy but in the digital domain as well – humanity could have an historic opportunity to leapfrog into far more sustainable, carbon-neutral patterns of habitation.

Moreover, in addition to the far-reaching advances in technology, there is also growing private- and public-sector awareness of the importance of factoring sustainability into all decisions. New approaches to energy, industry, architecture, city planning, transportation, agriculture, and forestry have the potential to halve GHG emissions by 2030. But that will happen only if a broad coalition of decision-makers decides to deploy them.

Fortunately, governments and major corporations have begun to show leadership on these issues. As a result, GHG emissions have already peaked in 49 countries that account for 40% of global emissions; and ten countries have even committed to being carbon-neutral by 2050. California and Sweden say that they will produce zero net emissions by 2045.

The Exponential Climate Action Roadmap shows that we do still have a say over our climate future. The dangers that await us cannot be denied. If GHG emissions and rising temperatures continue on their current trajectories, we could well reach the point at which future generations will have to endure “Hothouse Earth,” assuming that they can survive at all.

But just as recent scientific work has underscored the dangers of climate change, so, too, has it shown the way forward. There is hope in the rapid diffusion of new technologies, and in the growing awareness of the problem within industry, government, and civil society. If we can ensure exponential technological progress and marshal the necessary political will, we can tackle the climate crisis. A “Stable Earth” is still within our reach.

Renaud Girard : «Pourquoi Donald Trump veut aller jusqu’au bout sur la Chine»

25 septembre 2018

Trump veut aller jusqu’au bout sur la Chine

Le porte-parole du gouvernement chinois vient d’accuser les Etats-Unis d’avoir commencé « la plus grande guerre commerciale de l’Histoire économique ». Le lundi 24 septembre 2018, sont entrés en vigueur les nouveaux droits de douane imposés par le président Trump aux produits chinois. 200 milliards de dollars d’exportations chinoises vers les Etats-Unis sont touchées (sur un total de plus de 500 milliards par an). La surtaxe décidée par la Maison Blanche est de 10%, mais elle grimpera à 25% en 2019 si les deux gouvernements ne parviennent toujours pas à s’entendre. Les Chinois ont épuisé leurs moyens, dans la mesure où leurs importations d’Amérique ne dépassent pas les 130 milliards annuellement.

L’offensive tarifaire du président Trump contre la Chine est une politique qui a reçu un soutien substantiel des parlementaires américains (démocrates comme républicains) et des alliés européens des Etats-Unis. La chambre de commerce européenne en Chine a expliqué que la cause première de cette guerre commerciale sino-américaine est l’ouverture incomplète des marchés chinois aux biens et services en provenance de l’étranger.

Les autorités chinoises ne peuvent se plaindre de ne pas avoir été prévenues. Depuis qu’il a été élu, Donald Trump leur a demandé de modifier leurs pratiques commerciales, notamment lors du sommet de Mar-a-Lago (Floride) d’avril 2017. Au forum économique de Davos, en janvier 2018, Trump a déclaré : « Nous sommes en faveur du libre-échange, mais il doit être juste, et il doit être réciproque ! » Or les Américains estiment que la Chine, depuis trente ans, n’a jamais fait preuve de réciprocité dans son commerce avec les Etats-Unis, et qu’elle s’est montrée de surcroît très injuste.

Washington ne reproche pas seulement à Pékin l’énormité du déséquilibre commercial entre les deux nations. Les Américains accusent les Chinois de violer les règles de l’OMC (dont la Chine est membre depuis 2001) en ayant systématiquement recours au dumping et aux aides d’Etat camouflées. Trump est le premier dirigeant occidental à avoir dénoncé les stratégies chinoises de pillage technologique et d’intimidation des investisseurs occidentaux en Chine. Tel industriel souhaitant s’installer en Chine est prié de constituer une joint-venture avec un industriel local. Au début, les relations avec l’associé chinois sont merveilleuses, les usines démarrent, la distribution suit, les clients apprécient, l’investisseur occidental gagne de l’argent. Mais dans une deuxième phase, l’associé chinois se saisit d’un prétexte pour quitter soudainement la joint-venture. Les Occidentaux le retrouveront bientôt dans une autre usine, fabriquant des produits similaires, grâce à toute la technologie qu’il a auparavant volée. S’ils osent se plaindre, le Ministère de l’Intérieur les menace de leur retirer sur le champ leurs titres de séjour.

Trump a décrété que les Chinois ne voleraient plus jamais la technologie américaine. La Chine va-t-elle se soumettre aux demandes américaines ? Va-t-elle réagir de manière rationnelle ou émotionnelle ? Rationnellement, les Chinois seraient bien avisés de faire des concessions car ils ont davantage besoin de l’Amérique (en termes de formations universitaires, de technologie à importer et de marchés à l’export) que l’Amérique a besoin d’eux. Les 2000 milliards de bons du trésor américain que détient la Chine ne peuvent constituer pour elle un moyen de pression. Les vendre massivement reviendrait pour elle à se tirer une balle dans le pied, par dépréciation de ses actifs. Et les Américains trouveraient toujours preneurs ailleurs pour leurs obligations libellées en dollars.

Mais une dernière mesure américaine, d’une toute autre nature, pourrait très bien déclencher une réponse émotionnelle, c’est-à-dire nationaliste, de la part des Chinois. Le 20 septembre 2018, en vertu des lois américaines d’embargo votées après l’annexion de la Russie et après l’affaire Skripal, l’EDD, qui est l’organisme chinois chargé d’améliorer la technologie des armements de l’APL (Armée populaire de libération) et son chef, Li Shangfu, ont été sanctionnés pour avoir acheté à la firme d’Etat russe Rosoboronexport une dizaine de chasseurs bombardiers Sukhoi 35 ainsi que des missiles sol-air S-400. Leurs comptes sont gelés aux Etats-Unis et interdiction est faite à toute personne morale ou physique américaine d’être désormais en affaires avec cette personne et cette entité chinoises. L’Amérique a encore étendu l’extraterritorialité de son droit, car la transaction sino-russe n’était pas libellée en dollars…

Les Chinois vont-ils se sentir victimes de traités inégaux comme au XIXème siècle et se rebeller ouvertement contre l’Amérique ? C’est possible, car ils ont exigé d’elle publiquement le retrait de ces sanctions. Qui cédera le premier ? La réponse n’est pas pour demain. Ce n’est que le début d’un très long bras de fer…

Renaud GIRARD

Is the World Becoming a Jungle Again? Should Americans Care?

By Steven Erlanger

Sept. 22, 2018

BRUSSELS — President Trump seems determined to upend 70 years of established American foreign policy, especially toward Europe, which he regards as less ally than competitor.

The Trump turnabout has set off a fervent search on both sides of the Atlantic for answers to hard questions about the global role of the United States, and what a frazzled Europe can and should do for itself, given a less reliable American partner.

The German foreign minister, Heiko Maas, speaking before a conference of all Germany’s ambassadors last month, argued for a stronger European foreign and defense policy in the face of a suddenly uncertain future.

“The rules-based international order” is eroding in a world where “nothing can be taken for granted any more in foreign policy,” he said.

As a measure of just how cross-fertilized the thinking has become, Mr. Maas, a Socialist, cited the conservative American thinker Robert Kagan of the Brookings Institution and his forthcoming book, “The Jungle Grows Back: America and Our Imperiled World.”

His is one of several new books to take on the issues. In Mr. Kagan’s view, the United States’ retreat as the enforcer of the order it created after World War II is returning the world to its natural state — a dark jungle of competing interests, clashing nationalism, tribalism and self-interest.

“The liberal world order established by the United States a little over seven decades ago is collapsing,” Mr. Kagan writes, a function of American exhaustion with global burdens that began before Mr. Trump was elected and was one of the reasons for his victory.

But as a tired America pulls back from tending what Mr. Kagan calls “the garden” of the liberal order — an exceptional 70 years of relative peace and free trade, “a historical anomaly” made possible by U.S. leadership — the dangers are considerable, especially for Europe, he argues.

Already strained by populism and identity politics, Europe is in danger of returning to the strife that produced totalitarianism in the 1930s, he warns.

“The crucial issue is not the Middle East or even Russia, and it may not even be China,” Mr. Kagan said. “The big game is what it’s been for over a century. If we lose Europe, if we send Europe back to its normal condition, it’s over.”

But his prescription — that the United States suck it up and understand that it must remain the indispensable guarantor — is hardly universally shared at a moment when many appear sympathetic to Mr. Trump’s complaint that America’s allies do not do enough for collective defense.

Julianne Smith, a former adviser to Vice President Biden and now a visiting fellow at the Robert Bosch Academy in Berlin, recently traveled the United States talking about foreign policy.

“If in Washington the bipartisan view is do more, outside people ask if we’ve been too ambitious,” she said.

“We’re in a situation where the public doesn’t see the evidence to support Kagan’s arguments,” she said. “Congress is not there, the media is not there, the public is not there, and business is there only sometimes.”

Stephen M. Walt of Harvard University argues in his own forthcoming book, “The Hell of Good Intentions: America’s Foreign Policy Elite and the Decline of U.S. Primacy,” that the United States should do less in the world, and a lot more selectively.

Part of the “realist” school, Mr. Walt says that since the end of the Cold War, the United States has engaged in a series of expensive, largely unnecessary and ultimately failed efforts to remake nations in its own unusual image.

The metaphor of a garden “implies our role is benign and benevolent, when actually we’ve been blowing up a lot of stuff,” he said.

“If we go running around the world on idealistic crusades, and some go badly, as they will, then public support for an activist foreign policy will decline.”

Tomas Valasek, who runs Carnegie Europe, a research institution, considers that view too pessimistic.

“I agree that it’s not inevitable that the U.S. will always play the same role, but I disagree that mayhem necessarily follows,” he said. “The U.S. has changed Europe’s security culture,” making Europeans more conscious of the need to defend themselves.

“It’s not the 1930s,” Mr. Valasek said. “There are ugly forces at work in Europe but not of the same kind, and I don’t share Kagan’s assumption that European elites will fail to respond.”

“We must make clear to the American people that it’s in their enlightened self-interest to stay engaged, and that others are stepping up, paying and doing their share,” he added.

The shift in American attitudes “toward a post-imperial role” began before Mr. Trump, with the failure of the Iraq war, noted Nathalie Tocci, director of Italy’s Institute of International Affairs and an adviser to E.U. foreign-policy chief Federica Mogherini.

But for her, “the silver lining in Europe is that even the current dodgy leaders realize we’re all very small.”

“There is a growing realization that a stronger Europe and European Union are a necessity, whatever the faults,” she said.

Daniel W. Drezner, who teaches international politics at Tufts University’s Fletcher School, argues that “Americans are sick of wars in Afghanistan and Iraq,” but that both Mr. Kagan and Mr. Walt are wrong about American public opinion.

“Ask them about trade, immigration and alliances, and it turns out that Trump has made liberal internationalism great again,” he said, with Americans favoring international trade and alliances with European and Asian democracies.

Indeed, surveys show that American attitudes on trade and mutual alliances are the most positive in 40 years, said Ivo H. Daalder, president of the Chicago Council on Global Affairs.

“Americans are not sick of foreign engagement but of stupid, endless foreign wars,” he said.

Mr. Daalder and James M. Lindsay also have a forthcoming book, “The Empty Throne: America’s Abdication of Global Leadership,” describing the impact of what they consider the greatest shift in American foreign policy since the retreat from Europe after World War I.

Like Mr. Kagan, they see dire consequences. But they also argue that even if Mr. Trump won’t tend the liberal world order, America’s nine most democratic allies can do more to preserve it — in both global trade and security.

Mr. Lindsay and Mr. Daalder call for a “G-9” of Britain, France, Germany, Italy, Australia, South Korea, Japan, Canada and the European Union to act more boldly in their own interest, as they are already doing on trade.

Mr. Kagan wants to influence those choices. Despite mistakes in Iraq, Afghanistan and Libya, retreat in the name of “reality” is naïve and ahistoric, he argues.

“After decades of living within the protective bubble of the liberal world order, we have forgotten what the world ‘as it is’ looks like,” he said. “To believe that the quarter-century after the Cold War has been a disaster is to forget what disaster means in world affairs.”

Making the Most of Emerging Economies

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Investors may find it tempting to pursue a broad risk-off approach to the entire emerging world, especially in the context of rising global trade tensions. But it would be a mistake to ignore the very favorable conditions that exist in some emerging economies.

PARIS – Once again, the world’s emerging economies are facing a bout of uncertainty. Argentina, South Africa, and Turkey are among those generating the most concern, owing to a combination of questionable monetary policies and currency depreciation vis-à-vis the US dollar that threatens to undermine these countries’ ability to service their debts. But not all emerging economies are created equal.

To be sure, as in the past, there is a distinct risk of contagion. The emerging economies that are most vulnerable each must address its own challenges to avoid falling victim. And the approaches countries take to the challenges they face will have knock-on effects of their own.

Given this, investors may find it tempting to pursue a broad risk-off approach to the entire emerging world, especially in the context of rising global trade tensions. But it would be a mistake to ignore the very favorable conditions that exist in some emerging economies. For example, many have made significant progress in managing their debt levels, raising productivity, improving infrastructure, and implementing needed reforms.

All of this has contributed to strengthening these economies’ resilience to external shocks. Indeed, despite enduring uncertainties over the degree to which they have absorbed the lessons of the past, not to mention inconsistencies across countries, many emerging economies have developed much sounder fundamentals over an extended period.

The disparity between perceived and actual risk and the tendency to paint all emerging economies with the same brush is a longstanding problem. But investors should eschew a wholesale retreat from emerging economies in response to high-profile problems in a few. Instead, they should adopt a more nuanced approach, one focused on improving the risk-return profile by investing in selected regions and markets, while working with the right institutions.

In particular, now is not the time to ignore Latin America and the Caribbean, which have a wide range of investment needs – touched upon during the recent G20 meetings in Argentina – and also offer a broad range of growth opportunities. Countries in this region have pursued substantial reforms that have boosted economic growth and laid the foundations for strong financial returns in the longer term.

More broadly, stakeholders should strengthen their commitment to using the “billions to trillions” approach to resolving the world’s most vexing problems. That approach uses a combination of measures related to finance, skills, capacity, and risk allocation to leverage relatively scarce public-sector capital to mobilize more robust private-sector resources.

The multilateral development banks have a critical role to play here, and many have made great strides in responding to market needs. Moreover, the world has agreed, under the auspices of the United Nations, on complementary road maps for addressing global challenges: the Paris Climate Agreement and the Sustainable Development Goals. By establishing the right mechanisms to take advantage of related investment opportunities, we can use billions of public dollars to make trillions of dollars’ worth of progress.

Many of us in the investment community are working to boost the effectiveness of our work by ensuring that the right financial and risk-management instruments are in place to connect the public and private sectors. Already, mechanisms are in place to facilitate capital flows into emerging economies, particularly those in Latin America and the Caribbean, where opportunities for attractive risk-adjusted returns are now available.

In this context, even a very modest allocation by large institutional investors will have a major impact on the pursuit of sustainable outcomes, while also providing attractive, competitive financial returns. This dynamic – a fundamental component of the billions-to-trillions approach – can become embedded, creating the basis for a broader system in which there is no trade-off between making money and doing good.

The current turmoil in some emerging economies must not be allowed to derail past progress. On the contrary, it should spur stakeholders to redouble their collective efforts to establish a broadly beneficial system. This means, first and foremost, taking a nuanced approach to risk assessment that recognizes the attractive long-term growth opportunities that many emerging-market economies offer.

Jacques Beltran: «L’Europe trois fois malade»

21 septembre 2018

En médecine européenne, l’erreur de diagnostic est fréquente. Elle confond les maux et les symptômes. Tout le monde ou presque s’accordera à dire que l’Union européenne est désunie face à la crise migratoire, qu’elle peine, malgré de récentes avancées, à se doter des moyens d’une défense commune, qu’elle prend du retard face aux Etats-Unis et à la Chine dans plusieurs domaines économiques clés comme le développement des plateformes numériques, qu’elle est largement démunie face aux lois extra-territoriales américaines ou encore qu’elle souffre d’un excès de réglementation aggravé par des sur-transpositions nationales.

Tout ceci est rigoureusement exact, mais aussi graves soient-ils, ces problèmes ne sont que des symptômes. Pour les guérir et sortir l’Europe de la plus grave crise de son histoire, il faut remonter à l’origine de ces difficultés et tenter d’en saisir la cause profonde. De quels maux l’Union européenne souffre-t-elle qui l’empêchent de trouver les solutions adéquates aux défis majeurs auxquels elle doit faire face ? J’en vois trois.

Le premier, c’est la « construction européenne » elle-même.

Depuis plus de soixante-dix ans, l’Europe est en perpétuelle construction. Comme une maison toujours inachevée, dont les habitants débattraient ad nauseam du nombre d’étages ou de l’utilité finale des pièces. De traité en référendum et de conseil en sommet, l’Europe semble victime d’un mouvement brownien fait de réformes institutionnelles, d’élargissements géographiques (13 nouveaux membres entre 2004 et 2013 !), d’extension de ses compétences et de production de nouvelles normes et réglementations.

Et ce mouvement permanent, loin d’être vécu comme un inconfort, devient parfois pour nos responsables une feuille de route, une doctrine, voire une raison d’être. Tout fonctionnaire ou élu européen qui se respecte doit participer à la construction européenne, c’est-à-dire ajouter sa pierre à l’édifice, sa couche d’institution, d’élargissement, de compétence ou de réglementation. A tel point que l’Histoire de l’Union européenne est enseignée davantage au travers des traités (de Rome à Lisbonne, en passant par Maastricht, Amsterdam…), qu’au travers de ses réalisations pourtant nombreuses. Comme si le contenant importait plus que le contenu. Pour que l’Europe vive, il faut qu’elle avance. Toujours. Sinon elle tombe. C’est la parabole du cycliste.

Sauf que cette parabole n’est pas seulement fausse, elle est aussi coupable. Elle a fait de notre Europe, à force d’en complexifier les règles et d’en densifier le contenu, le royaume des juristes et des lobbies. Et elle inspire, à tort, la plupart des propositions de nos responsables politiques qui voient dans les réformes institutionnelles et la révision des traités des passages obligés pour remettre l’Europe sur les rails. Rares sont ceux en France qui considèrent qu’il faut arrêter de toucher aux institutions et concentrer nos énergies sur les projets qui apporteront de vrais changements pour les Européens.

Le second mal de l’Europe, c’est l’attention excessive qu’elle a porté à sa construction interne, au détriment de sa capacité à affirmer son identité européenne et à faire face aux enjeux de la mondialisation.

Le marché unique européen est l’une des plus belles réussites de l’Union européenne. Les Britanniques qui s’apprêtent à le quitter en prennent peu à peu toute la mesure. Plus largement, les quatre libertés de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux sont les fondements d’un ensemble politique multinational unique au monde, dont nous pouvons être fiers.

Mais là où le bât blesse c’est que la constitution de ce marché unique a totalement accaparé les esprits pendant des décennies, au détriment de notre capacité collective à affirmer son identité et à adresser le monde extérieur. Comme si l’Europe, trop concentrée sur elle-même, avait oublié qu’elle n’était qu’un ensemble parmi d’autres, dans un monde plus vaste au sein duquel évoluaient d’autres puissances poursuivant d’autres intérêts. Comme si en se renforçant de l’intérieur, l’Europe avait créé simultanément les sources de sa fragilité extérieure.

Nous avons ainsi imposé à nos entreprises des règles de concurrence parmi les plus exigeantes au monde, alors même que leurs homologues américaines ou asiatiques ne sont pas nécessairement soumises aux mêmes obligations.

Nous avons favorisé le libre-échange et ouvert notre marché européen aux entreprises de pays tiers, sans toujours exiger de nos partenaires commerciaux une ouverture réciproque de leurs propres marchés.

Nous avons bâti un modèle social et environnemental parmi les plus avancés au monde et qui fait notre fierté, sans réussir à imposer à nos partenaires non européens le respect de normes équivalentes.

Nous avons favorisé la libre circulation des personnes au sein de notre espace européen, nous avons créé « Schengen », sans nous donner les moyens de contrôler efficacement nos frontières extérieures et les flux d’immigration non désirés.

Nous avons construit les bases d’une paix durable en Europe, sans nous donner les moyens collectifs de projeter nos forces hors de nos frontières lorsque notre sécurité l’exige.

Ne soyons pas surpris dès lors que l’attente principale de nos concitoyens à l’égard de l’Europe soit que celle-ci les protège. Ils ne veulent pas d’une Europe parfaite à l’intérieur mais vulnérable de l’extérieur. Ils veulent une Europe capable de défendre les intérêts européens face aux menaces terroristes, aux risques migratoires, environnementaux et commerciaux. Là aussi, nos responsables nationaux et européens doivent opérer une forme de révolution mentale : dans les années à venir, le salut de l’Europe passera moins par sa capacité à parachever son marché unique et ses politiques communes que par sa capacité à démontrer son efficacité face aux enjeux multiples de la mondialisation.

Le troisième mal dont souffre l’Europe, c’est l’absence de leadership.

Quand l’Europe balbutie et peine à décider, il est facile d’incriminer sa gouvernance complexe et le nombre trop élevé de ses Etats membres. Incontestablement, les élargissements nombreux et rapides à partir de 2004 ont rendu la tâche du Conseil européen plus complexe. Arguant d’une double fracture Est/Ouest (sur les questions migratoires) et Nord/Sud (sur les questions économiques et monétaires), nombreux sont ceux qui prônent une Europe des « cercles concentriques » pour contourner les difficultés et avancer malgré tout. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle.

Si l’idée est un rétrécissement de l’Europe à 6, 8 ou 12, alors le risque est grand de la faire disparaître totalement. L’annonce d’une telle décision – si tant est que les partenaires envisagés par la France pour faire partie du noyau dur l’acceptent – provoquerait immédiatement l’annonce de coalitions concurrentes. Au « cœur d’Europe » ouest européen répondraient immédiatement une Europe de Višegrad autour des Polonais et Hongrois, ou une Europe nordique et baltique ou encore une Europe des Balkans, sans doute sous influence turque ou russe. Et la position de l’Allemagne serait particulièrement délicate car rien ne dit qu’elle accepterait ce découpage à hauts risques. L’Europe des cercles concentriques est finalement une vision très française.

Si l’idée en revanche est de s’appuyer sur les structures et procédures existantes, comme la zone euro, les coopérations renforcées ou les projets intergouvernementaux, alors oui bien sûr il faut exploiter toutes ces marges de manœuvre, bien plus que nous ne le faisons actuellement, et permettre ainsi aux Etats membres qui le souhaitent d’avancer plus vite et plus loin.

Mais quel que soit le périmètre dont on parle, l’enjeu principal n’est pas le nombre d’États membres mais l’existence d’un leadership, c’est-à-dire la capacité de quelques Etats membres à convaincre les autres de l’intérêt de travailler ensemble. Reconnaissons que le président de la République a donné en la matière une impulsion inédite dès son élection, mais que l’absence de partenaire solide outre-Rhin a quelque peu douché nos espoirs d’une relance de l’Europe grâce au couple franco-allemand.

La France peut-elle reprendre ce leadership avec une chancelière allemande affaiblie, un gouvernement italien franchement hostile au Président français et une Europe centrale et orientale en rupture avec les valeurs fondamentales de notre Union ?

Ce sera tout l’enjeu des prochains mois. C’est à mon sens encore possible à la double condition. 1. Instaurer un moratoire de 10 ans sur les réformes institutionnelles, les élargissements géographiques et les extensions de compétence. 2. Provoquer un électrochoc en proposant à nos partenaires la tenue d’un conseil européen exceptionnel pour aboutir à des propositions concrètes et budgétées sur trois sujets vitaux pour les Européens, à savoir l’autonomie européenne en matière de défense, la maîtrise de l’immigration et le rattrapage de notre retard en matière d’innovation, par exemple en matière d’intelligence artificielle. Trois sujets qui ne couvrent pas tous les champs possibles bien entendu, mais qui enverraient à nos concitoyens avant les prochaines élections européennes un signal très clair quant à l’utilité de l’Union européenne.

Moins de réformes institutionnelles, moins de réglementation, plus de réalisations concrètes. C’est en passant de la « construction européenne » aux « réalisations européennes » que l’on regagnera la confiance de nos concitoyens et que l’on pourra espérer voir renaître le sentiment d’une communauté de destin.

Jacques Beltran est chargé des affaires européennes et internationales à la Région Ile-de-France.

Brexit: holding out hope for pragmatism, and a miracle

22 September 2018

Prince Michael of Liechtenstein, GIS Reports

The European Union’s heads of state and government met in Salzburg last week, as Austria currently holds the rotating EU presidency. One of the main items on the agenda was a discussion with United Kingdom Prime Minister Theresa May on Brexit.

Prime Minister May negotiated based on her “Chequers” proposal, a British plan for an orderly exit from the EU, assuring free trade but not a free exchange of people. The plan has been in discussion for a while now. Mrs. May, however, has very little room to make any further compromises, due to her government’s fragile position domestically.

The EU side showed a lack of pragmatism, giving Mrs. May a “take it or leave it” offer. Unlimited freedom in exchanging goods, capital and services is always desirable in a trade relationship. For the EU, this free exchange is unacceptable if it is not linked with the free exchange of people.

For those who think logically and pragmatically, it would appear more desirable to maintain the free exchange of goods, services and capital, even without the free exchange of people, than to have none at all. By all appearances, logic was nowhere to be found at the discussions in Salzburg. Instead of a constructive discussion, we witnessed a celebration of bureaucratic fundamentalist ideology. It was embarrassing.

But there is a lot at stake, not only for the UK, which is a crucial trading partner for most EU countries. The argument that access to the internal market can only be granted when all conditions are fulfilled was elevated to dogma, even though it neglects the negative consequences.

It also fails to take into account that the biggest promoters of the “everything or nothing” position are the same people who have recently tried to limit the EU’s economic freedoms and curb internal competition when it suited their interests. French President Emmanuel Macron, for example, uses minimum wages and social security pretexts in an attempt to limit the posting of workers, mainly from Central European businesses, throughout the union. In another example, last year his governmentseized French shipyards to block their acquisition by an Italian company.

Fading optimism

Until now, one could have been optimistic and believed that finally, some reasonable decision makers would have pushed for more flexibility, not only in the interest of European economies. Europe is built on diversity, and the future of the EU will depend on the ability to respect and take advantage of this diversity. Unfortunately, the approach of increasing harmonization and the insistence that “one size fits all” is killing the European spirit and sapping its strength.

As opposed to political fundamentalism, business thinking tends to be pragmatic and logical. What business often neglects to take into account, however, is the irrationality of bureaucratic politics. So far, businesses have believed that a mutually acceptable solution to Brexit would be found. Expecting businesses to invest huge sums to prepare for the bizarre alternative is asking a lot. Some will be caught unprepared.

The EU leaders in Salzburg have set October 18 as the deadline to resolve the impasse – not even four weeks. A miracle could still happen, although by definition, miracles are rare.

Multilatéralisme : vers la fin de l’ordre occidental

ANALYSE. L’assemblée générale des Nations unies s’est ouverte lundi à New York sans les dirigeants chinois, indien et russe. Un signe supplémentaire que l’ordre international tel que nous le connaissons a vécu : son épicentre se déplace vers l’est, avec de nouvelles règles et un nouvel acteur majeur, la Chine.

Cette année, ni Xi Jinping, ni Narendra Modi, ni Vladimir Poutine ne seront présents à l’assemblée générale des Nations unies à New York. La Chine et l’Inde seront pourtant les puissances démographiques et économiques majeures du XXIe siècle, et la Russie est une puissance régionale qui compte, grâce à son engagement militaire. Ces absences font mieux que souligner en creux la perte d’influence de l’organisation, elles mettent en lumière un fait majeur : un autre ordre multilatéral est en train de naître, dont l’Occident sera cette fois le parent pauvre.

On aurait pu avoir l’impression, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, que les Etats-Unis étaient les champions de la charge contre le multilatéralisme. Avec son programme d’« America First », où la relation bilatérale et le protectionnisme sont préférés , le président américain n’a ménagé ses coups de boutoir à aucune institution, de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) aux Nations unies. Convaincu que ces arrangements entre amis lui rapportaient finalement assez peu, il préfère améliorer son jeu en profitant du rapport de force dont il dispose.

Deux chocs

En réalité, la déliquescence de l’organisation de l’ordre mondial telle que nous la connaissons est plus ancienne. Elle date de deux chocs successifs. Celui du  11 septembre 2001, puis de  la crise financière de 2008 , qui ont débouché sur une « contestation de l’ordre occidental », explique le diplomate Jean-David Levitte. Jusque-là, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) avaient profité de la globalisation pour moderniser leurs économies et asseoir leur statut de puissances émergentes. L’attentat du 11 septembre est perçu comme un refus des valeurs libérales occidentales, tandis que la crise financière – dont les économies émergentes vont être une des premières victimes – les ébranle profondément. Si elles ont été favorables à la mondialisation, elles souhaitent désormais en réécrire les règles. En commençant par refuser l’occidentalisation. D’où l’hindouisme triomphant de Modi ou l’exaltation de la Turquie de Soliman par Erdogan.

Arrimés à la Chine

Cela est possible grâce à la formidable locomotive qu’est devenue la Chine, derrière laquelle beaucoup de pays souhaitent s’arrimer. En quarante ans, elle s’est profondément enrichie et transformée. Sa nouvelle puissance lui permet de réorganiser l’ordre international comme elle le voit, autour de l’empire du Milieu. Elle veut devenir le leader technologique du XXIe siècle, se réarme et se crée des obligés et des débouchés sur la moitié de la planète avec son programme  « one belt, one road » . Elle finance la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, qui entend marcher sur les plates-bandes du FMI comme de la Banque mondiale.

Enfin, la Chine soutient de nouvelles instances intergouvernementales, comme  l’Organisation de coopération de Shanghaï . Conçue comme une réponse à l’effondrement de l’URSS qui promeut la coopération économique et sécuritaire, celle-ci réunit la Russie, la Chine, le Kazakstan, le Kirghizistan, le Tadjkistan et l’Ouzbékistan. L’an passé, elle a accueilli l’Inde et le Pakistan. Au final : 3,2 milliards d’habitants et un PIB combiné de 37.000 milliards de dollars. Et, contrairement aux Etats-Unis, la Chine continue d’investir dans les organisations internationales de l’après-guerre, réclamant ou conquérant davantage de poids autant au FMI qu’aux Nations unies, et profite à loisir de la tribune de Davos.

Nouvel épicentre

Le multilatéralisme est donc loin d’être mort. Mais son épicentre a bougé. Il n’est plus sur la 47e rue Est à New York, qui a démontré son impuissance à résoudre les conflits, notamment la crise syrienne. Surtout, les solidarités et les ambitions sont différentes.  Les émergents se tiennent les coudes et se retrouvent sur des valeurs anti-occidentales, et surtout non interventionnistes. L’Inde est collée à la Russie, la Chine anime une coalition hétéroclite d’obligés, du Pakistan à la Corée du Nord. De nombreux pays d’Afrique ou d’Amérique latine peuvent y trouver leur compte, soit par intérêt économique, soit par anti-américanisme. Poutine s’intéresse davantage à l’organisation de Shanghai qu’à réintégrer un G8 dont il sait que la France et le Royaume-Uni seront sortis dès 2030 pour faire la place, d’ici à 2050, à l’Indonésie, au Brésil et au Mexique. Pour les Occidentaux, expliquait récemment  Hubert Védrine aux « Echos »« il est urgent de trier entre ce qui est fondamental et ce qui peut relever d’un compromis avant que les Chinois ne nous mettent devant le fait accompli ».

Alliances tactiques

Dans son dernier ouvrage, « Quand le Sud réinvente le monde » (La Découverte), l’expert en relations internationales Bertrand Badie décrit la fin d’un système international westphalien – qui tire son nom de la paix de Wesphalie en 1648, et qui s’organisait autour d’Etats, de souveraineté, de territorialité. A la faveur de la globalisation, explique-t-il, « on découvre que la stabilité internationale ne dépend plus tellement de l’équilibre de puissances, mais de l’équilibre très précaire des conditions sociales. Autrement dit, le positionnement du faible et son excès d’impuissance deviennent presque mécaniquement la source des grandes menaces qui pèsent sur la stabilité de l’ensemble. »Le printemps arabe et ses conséquences, la crise grecque qui a menacé l’édifice européen, en sont des illustrations. L’auteur note également que, désormais, l’acteur régional, voire l’acteur local, détient plus de capacités que l’acteur mondial. Pour preuve, Iran, Turquie, mais aussi groupes terroristes ont une capacité d’action supérieure à celle de puissances mondiales dans le conflit syrien.

Lors de son  discours aux ambassadeurs , fin août, Emmanuel Macron constatait lui-même que « les nationalismes se sont réveillés. L’Europe affadie est affaiblie. Le système multilatéral est remis en cause par des acteurs moyens et des régimes autoritaires. » Le président français a néanmoins une réponse « pour une refondation en profondeur de notre ordre mondial ». Il s’agit de construire des alliances tactiques pour « la protection des biens communs mis en danger par la crise du multilatéralisme et la politique des Etats-Unis ». Climat, éducation, santé, espace numérique, commerce international : une stratégie multilatérale qui se gère chapitre par chapitre, et qui dépasse les seuls Etats, puisqu’il est impératif, à l’instar de la COP 21, d’inclure un maximum d’acteurs non étatiques.

Virginie Robert

Entretien avec Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des relations internationales

«La grande affaire pour les 30 prochaines années sera la rivalité entre la Chine et les États-Unis»

Invité par l’Académie du Royaume du Maroc et l’OCP Policy Center, le président de l’Institut français des relations internationales (Ifri), Thierry de Montbrial, livre pour les lecteurs du «Matin» une analyse globale des futurs enjeux géopolitiques dans le monde et de leurs principaux protagonistes. Il évoque au passage le rôle que le Maroc est appelé à jouer dans le partenariat entre l’Afrique et l’Union européenne et nous donne un avant-goût de la 11e édition de la World Policy Conference prévue en octobre prochain à Rabat.

Le Matin : Vous êtes économiste, géopolitologue, professeur, président et fondateur de l’Institut français des relations internationales, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, président de la World Policy Conference… et vous avez bien d’autres casquettes. Quelle est celle qui vous tient le plus à cœur ?
Thierry de Montbrial :
Je crois que tout cela est lié. Cela procède d’un intérêt pour le monde et d’un désir farouche d’être utile pour les grands enjeux des années et décennies qui viennent pour voir comment maintenir un monde que j’appelle raisonnablement ouvert. Car c’est cela le grand enjeu du 21e siècle. Je voudrais aussi signaler que la World Policy Conference, qui existe maintenant depuis 11 ans, tiendra ses débats pour la quatrième fois au Maroc, à Rabat, fin octobre.

À travers l’Ifri, que vous avez fondé en 1979, vous publiez régulièrement le Ramsès (Rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies), mais également la revue «Politique étrangère» créée par le Centre d’études de politique étrangère en 1936 et qui a été reprise et publiée par l’Ifri en 1979. Quel est l’apport de ces deux importants documents ?
«Politique étrangère» est une revue classique dans les relations internationales qui paraît tous les trois mois et qui couvre beaucoup de sujets, mais qui sont traités d’un point de vue européen. Les grandes revues américaines en la matière traitent ces sujets d’un point de vue américain. C’est pour cela qu’il faut avoir la pluralité des points de vue. Quant au Ramsès, il s’agit d’un document annuel qui, tous les ans depuis 36 ans, fait une sorte de tour du monde. C’est un livre qui porte sur l’état de la planète. Si on prend tous les Ramsès depuis le premier numéro en 1981, on peut avoir comme une espèce de film qui montre comment le monde a évolué depuis maintenant 37 ans. Chaque année, on essaye de faire le point. Moi-même, j’apporte des analyses d’ensemble dans ce rapport. Par exemple, aujourd’hui, il y a la conséquence des rivalités entre la Chine et les États-Unis et bien d’autres sujets. Nous privilégions certains thèmes, par exemple, cette année nous traitons les questions démographiques, les questions de migration, les réfugiés, la question du Moyen-Orient, l’Iran… Nous traitons également le sujet de la Chine qui retiendra notre attention pendant longtemps.

La première partie du rapport Ramsès est réalisée par vous. Elle a été consacrée aux «Perspectives», est-ce en relation avec le titre de cette édition «Les chocs du futur» ?
En fait, je pars de l’idée que la grande affaire pour les 30 prochaines années va être la rivalité entre la Chine et les États-Unis qui peut déboucher sur plusieurs scénarios. La question majeure est donc de savoir où se situe l’Europe. Ce n’est pas intéressant uniquement pour les Européens, mais également pour le reste du monde, en particulier pour votre pays, pour l’Afrique et l’Afrique du Nord qui est à la porte de l’Europe. Tout ceci conduit aussi à analyser de plus près les forces immédiates. Il s’agit par exemple de la situation au Moyen-Orient, la Corée ou des évolutions en Asie. Mais j’accorde cette année aussi une place importante aux questions idéologiques, les régimes politiques, la démocratie, la démocratie libérale, la démocratie «illibérale»… Des sujets qui sont de plus en plus débattus et qui me paraissent essentiels pour l’avenir du monde. Il faut admettre l’hétérogénéité du monde et admettre qu’on est interdépendant avec des pays qui n’ont pas tous la même culture, n’ont pas les mêmes régimes politiques et il faut respecter cela. Sinon, cela ne peut que dégénérer, comme cela fut le cas au Moyen-Orient. Ces perspectives touchent donc à des sujets que je crois assez fondamentaux et durables.

Vous parlez également de l’importance de la construction de l’Europe. Dans ce cadre, et étant donné le statut avancé dont jouit le Maroc, ne pensez-vous pas qu’il y a un rôle à jouer par le Royaume, notamment celui de trait d’union entre l’Europe et l’Afrique ?
Je pense que le Maroc est bien évidemment un pays qui a une position de plus en plus privilégiée dans la relation entre l’Europe et l’Afrique. C’est d’ailleurs la direction dans laquelle le Maroc s’engage. Il a réintégré l’Union africaine, il a une politique ambitieuse de collaboration avec un certain nombre de pays africains. Je crois que c’est une bonne politique qui peut contribuer, sur la durée, à donner un sens de plus en plus riche au partenariat entre le Maroc et l’Union européenne.

Vous êtes également le président de la World Policy Conference, dont des éditions ont eu lieu au Maroc. La prochaine édition aura lieu à Rabat. Pouvez-vous nous donner un avant-goût du programme de cette onzième édition ?
C’est la 11e édition de la World Policy Conference (WPC). Le but de cette conférence est d’examiner l’évolution de la gouvernance mondiale. C’est un thème un peu abstrait. Mais le véritable enjeu c’est la capacité du monde à vivre ensemble et à gérer l’interdépendance entre les nations. Je mets l’accent, depuis le début, sur les puissances moyennes, parce que je crois qu’on ne peut s’en remettre exclusivement aux principales puissances, d’autant plus que ces grandes puissances ne s’intéressent plus au droit international et ont tendance à jouer uniquement avec des relations de pouvoir.
C’est pourquoi nous mettons, depuis le début, l’accent sur les puissances moyennes qui sont soucieuses et désireuses de contribuer à façonner positivement leur environnement. Nous traitons toujours les grands sujets géopolitiques et économiques, mais également d’autres sujets. Par exemple, cette année nous allons avoir une session sur l’importance de l’enseignement et de l’éducation dans les premières années. Ce débat sera animé par des personnalités éminentes venant de différents pays, notamment de l’Afrique et de l’Inde. Là, nous avons un exemple de sujets types non classiques, mais qui est très porteur pour l’avenir. Autre exemple de sujet un peu original, la question des religions en Chine puisque, actuellement, surtout depuis le dernier congrès du Parti communiste en Chine, le pouvoir persécute systématiquement les religions. Ce sont aussi des éléments de compréhension du monde dans lequel nous vivons. Un dernier point, c’est que la World Policy Conference se veut comme une sorte de club, dans ce sens que ce n’est pas une énorme conférence où tout le monde vient. C’est plutôt un cadre où les gens sont invités un à un avec un nombre relativement limité. C’est un club global et nous sommes très heureux de tenir cette édition, pour la quatrième fois (sur 11 éditions), au Maroc. D’ailleurs, le Royaume s’est intéressé dès le début à la WPC et je crois que le Maroc a une excellente sensibilité à ce genre de thèmes et je le remercie d’accueillir cette conférence.

Responsabiliser la finance mondiale pour éviter une nouvelle crise

LE CERCLE/POINT DE VUE – Dix ans après la crise des subprimes, la finance ne dispose toujours pas d’une régulation holistique efficace et d’une approche consolidée des risques. Il faut encourager la bonne allocation du capital au niveau mondial.

La crise financière de la livre turque, qui a menacé de s’étendre aux pays émergents et au secteur bancaire européen, a rappelé la totale interdépendance du système financier mondial.  Dix ans après la crise des subprimes, la finance, malgré des progrès importants, ne dispose toujours pas d’une régulation holistique efficace et d’une approche consolidée des risques.

Surtout, la dynamique de l’endettement souverain dans un nombre important de pays, les taux d’intérêt proches de zéro,  les incertitudes sur la sortie du « QE » comme le développement des fonds vautours, spécialisés dans le rachat de dettes émises par des débiteurs en difficulté, et des fonds activistes qui spéculent sur les sociétés, créent une instabilité dommageable à la stabilisation de l’économie mondiale. L’incapacité à responsabiliser la finance entretient une instabilité structurelle et pourrait préfigurer une nouvelle crise de grande ampleur.

Actions spéculatives

A un niveau plus microéconomique, les entreprises sont touchées par l’arrivée, au capital, de fonds activistes qui jouent à la baisse sur les actions et spéculent sur la restructuration des actifs, à l’instar de Vivendi ou Danone. Au premier semestre 2018, 104 fonds activistes ont lancé 145 raids sur 136 entreprises à travers le monde avec un montant de capital engagé de 40 milliards de dollars.

Ces opérations se concentrent de manière croissante sur le terrain européen selon la dernière étude de la banque Lazard, notamment pour les fonds qui spéculent sur la baisse des actions en les vendant à crédit pour les racheter plus tard en réalisant un bénéfice. Ces fonds n’hésitent pas à financer des études biaisées, qui contribuent à la chute des cours, à influencer la presse avec des forums, voire à tromper les algorithmes sur Internet.

Les difficultés à contrer de telles actions spéculatives sont nombreuses, notamment l’incapacité intellectuelle à articuler un discours cohérent sur la refondation de la finance mondiale, sans toucher pour autant à la mondialisation et à la libéralisation des marchés. Pourtant, le rôle de la finance est simple : assurer le financement de la croissance, garantir la sécurité de l’épargne, payer une prime à la hauteur du risque pris par les investisseurs, permettre de gérer le temps, l’espace et les risques associés.

Or jusqu’à présent, les réformes ont été réalisées de manière fragmentée, sans développer de vision globale du système financier qui permette de relever les grands défis que sont notamment le développement durable et la lutte contre le changement climatique.

« Do good and do well »

A une période où les risques s’accumulent, il faudrait relancer une réflexion d’ensemble sur l’architecture mondiale de la supervision financière au sein du G20 dont le Financial Stability Board fête son dixième anniversaire.

Comment favoriser une bonne allocation du capital au niveau mondial ? On pourrait envisager en son sein une réflexion sur les obstacles au financement du long terme et du développement durable ou le voir travailler à la promotion du « do good and do well » (« faire bien et comme il faut », en français), afin que notamment les particuliers – épargnants retraités investisseurs – soient rassurés sur l’usage de leur épargne et que les investisseurs en général aient accès à un univers d’opportunités le plus vaste possible et se sentent encouragés à revoir leurs politiques.

C’est avec des mesures de responsabilisation, au-delà du « tout-réglementaire », que seront jugés les dirigeants des démocraties et les acteurs financiers alors que le populisme continue à se nourrir d’actions spéculatives qui révoltent les opinions publiques. Beaucoup a été discuté. Il y a plus encore à faire.

Ne soumettons pas l’Europe à la noire dialectique progressistes / nationalistes

CHRONIQUE – La procédure visant à priver la Hongrie de ses droits de vote au sein du Conseil des ministres de l’Union européenne est excessive sur le fond, inefficace sur la forme, et contre-productive sur le long terme.

Nombreux sont les responsables européens à s’être réjouis du vote du Parlement de Strasbourg du 11 septembre 2018 qui, suivant la proposition d’une députée écologiste hollandaise, a ouvert une procédure visant à priver la Hongrie de ses droits de vote au sein du Conseil des ministres de l’Union européenne (UE). Ils ont eu tort. Car, sans le vouloir, ils sont en train d’affaiblir la cohésion d’une UE qui, après le Brexit, n’avait pas besoin de cela.

Le vote européen est excessif sur le fond, inefficace sur la forme, et contre-productif sur le long terme. Sur le fond, on a bien sûr le droit de combattre la politique du premier ministre hongrois. On a le droit de détester les idées de M. Orban, son style, son visage. On peut lui reprocher d’être trop « nationaliste ». On peut même, si l’on veut, le qualifier de « populiste », quitte à courir le risque de se voir opposer cette définition : est populiste celui qui n’a pas les mêmes idées que moi mais qui est plus populaire que moi et qui engrange davantage de voix que moi. On peut surtout, dans le régime parlementaire qui est celui de la Hongrie, voter contre Orban aux élections législatives, qui s’y déroulent sans la moindre fraude tous les quatre ans. Aux élections d’avril 2018, où la participation fut très élevée, la liste de centre-droit de Viktor Orban a obtenu 49% des voix et 133 députés sur 199. Le parti MSZP de centre-gauche, avec 12% des voix, a conquis 20 sièges. Le parti Jobbik, ultra-nationaliste, a obtenu 19% des voix et conquis 26 sièges. Le parti écologiste LMP a obtenu 7% et 8 sièges.

Faut-il le répéter ? Orban n’est pas Hitler. En Hongrie, vous pouvez dire ce que vous pensez publiquement, vendre les livres que vous voulez, lire les journaux que vous aimez, et faire campagne dans la rue contre Orban. Il ne vous arrivera rien. Si vous êtes juif et que vous habitez une banlieue de Budapest, vous pouvez pratiquer votre religion en toute quiétude. En Seine-Saint-Denis, ce n’est, en revanche, plus le cas. S’il y a un scandale de libertés publiques et d’Etat de droit en Europe, c’est bien en France qu’on le trouve. Il est proprement scandaleux que, dans certaines banlieues de France, un Juif ne se sente pas en sécurité, doive raser les murs, sous prétexte qu’il porte une kippa sur la tête. Avant de donner des leçons à l’Europe entière, la France serait bien avisée de balayer devant sa porte.

En 2015, sans consulter ses partenaires européens, la chancelière d’Allemagne a décidé d’ouvrir grand ses frontières aux migrants venus du Moyen-Orient et d’Asie centrale, provoquant un appel d’air sans précédent vers tous les miséreux de la planète. On a tout à fait le droit de louer le grand cœur de Mme Merkel, et de penser que cette immigration sans visa est une chance pour l’Europe. Mais doit-on pour autant refuser d’entendre les arguments de M. Orban qui, avec ses partenaires du Groupe de Visegrad, ne veut recevoir que des réfugiés chrétiens, estimant que l’intégration des populations musulmanes ne se fait pas de manière satisfaisante dans les sociétés d’Europe de l’Ouest ?

Il serait légitime que l’Allemagne et la France veuillent arrêter de financer à Bruxelles les programmes structurels en Europe de l’Est, afin de consacrer cet argent à la lutte contre les circuits de trafic d’êtres humains en Afrique du Nord et aux politiques de développement des investissements productifs en Afrique noire. L’immigration illégale est devenue en effet la première urgence de l’UE.

Mais il est illégitime de vouloir sanctionner à ce point (par la privation de ses droits de vote) la Hongrie, alors qu’elle n’a fait, depuis 2015, qu’appliquer strictement les accords de Schengen. Pourquoi les frontières européennes devraient être les seules du monde à pouvoir être, impunément, franchies illégalement ? Les pays européens n’entretiennent-ils pas un réseau d’ambassades et de consulats à travers le monde, ouverts à toute demande légitime de visa ?

Sur la forme, la procédure du Parlement européen n’a aucune chance d’aboutir car il lui faudrait l’unanimité des votes au sein du Conseil. Or la Pologne a déjà fait savoir qu’elle voterait non. A court terme, il s’agit donc de beaucoup de bruit pour rien.

Mais à moyen et long terme, ce geste du Parlement est contreproductif. S’il avait voulu accroître les divisions au sein des nations de l’Union européenne, le Parlement n’aurait pas agi différemment. Ce n’est pas en diabolisant l’Italie et le Groupe de Visegrad (Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Pologne) qu’on fera progresser l’Union européenne. Vouloir défendre l’identité des vieilles nations chrétiennes de l’Europe n’est tout de même pas un crime ! Comme n’est d’ailleurs pas un crime la volonté de se montrer accueillants envers des familles étrangères dans la détresse. Il y a un simplement un équilibre à trouver entre la défense de sa culture et une politique d’accueil des étrangers qui ne la mette pas en danger.

Ne jetons pas dans les bras des partis nationalistes antieuropéens tous ces citoyens qui aiment la construction européenne mais qui sont opposés à une immigration de masse, lui préférant une immigration choisie. Ne soumettons pas l’Europe à la noire dialectique « progressistes » contre « nationalistes ». On peut accepter le progrès tout en aimant sa nation, son histoire, sa civilisation.

Evitons que cette dialectique délétère fasse désormais système dans le paysage politique européen. Renforçons la cohésion de l’Union. Car, en tant que Français, nous avons besoin d’une Europe forte et unie, d’une Europe qui soit capable de résister à l’hégémonisme financier et juridique américain, ainsi qu’au dumping commercial et au pillage technologique venus de Chine.

Depuis le Brexit, la santé de l’UE n’est pas bonne. Gardons-nous de la dégrader davantage.

Bertrand Badré: «La plus grosse perte engendrée par la crise financière c’est celle du capital-confiance»

14 septembre 2018

Propos recueillis par Irène Inchauspé

« Personne n’a vraiment songé au modèle d’après-crise : quelle type d’économie veut-on financer et comment ? »

Bertrand Badré est fondateur et PDG de «Blue like an Orange Sustainable Capital». Il a été auparavant directeur général finances de la Banque Mondiale, directeur financier de la Société Générale et du Crédit Agricole. En 2016, il a publié «Money Honnie : et si la Finance sauvait le monde ?»

Comment expliquer la détestation farouche de la finance qui a suivi la crise de 2008 ?

Cette crise financière et la grave récession qui a suivi ont fait de la finance l’ennemi à abattre. Pour bien comprendre son effet dévastateur, il faut se rappeler ce dont on parlait en France à l’été 2008. Le thème qui dominait était le débat autour du revenu national d’activité (RSA) proposé par Martin Hirsch. On discutait alors de savoir quel budget y consacrer : 500 ou 600 millions d’euros ?

Lire la suite sur le site de l’Opinion.

« Emmanuel Macron doit faire le pari de la Russie »

Interview de Renaud Girard

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CLAUDE GALLI | LE COURRIER INTERNATIONAL DE RUSSIE | 12 SEPTEMBRE 2018

Emmanuel Macron a annoncé début juillet l’organisation, les 11, 12 et 13 novembre prochains, d’un grand Forum sur la Paix à Paris, dans le cadre de la célébration du centenaire de l’armistice de 1918. Il y a convié les chefs d’État des pays ayant participé à la Première Guerre mondiale, dont Vladimir Poutine et Donald Trump. Certains, à Paris et Moscou, évoquent, à cette occasion, la tenue d’un mini-sommet entre les trois présidents. Par ailleurs, le 27 août, lors de la conférence annuelle des ambassadeurs, Emmanuel Macron a appelé à une « remise à plat des relations russo-européennes » et à l’ouverture de discussions avec Moscou sur la sécurité en Europe. Le chroniqueur de politique internationale du Figaro, Renaud Girard, qui a rencontré le président Poutine lors de sa venue à Versailles en mai 2017 et accompagné, cette année, le président Macron à Saint-Pétersbourg, commente pour le Courrier de Russie, ces dernières évolutions diplomatiques.

RENAUD GIRARD.

Le Courrier de Russie : Emmanuel Macron vient de proposer une « remise à plat » des relations russo-européennes. S’agit-il d’une inflexion majeure de la politique étrangère française ou d’une déclaration de bonne intention ?

Renaud Girard : Après plus d’un an d’exercice du pouvoir, il convient désormais de juger la politique d’Emmanuel Macron à ses actes. En ce qui concerne les relations avec la Russie, je suis de ceux qui estiment que la politique de sanctions européennes est contre-productive. Je ne pense pas que l’on puisse faire changer la stratégie d’un pays comme la Russie ‒ un pays qui a résisté pendant plus de mille jours au siège de Leningrad par l’armée allemande ‒ avec de simples sanctions commerciales. Mais, par ailleurs, je devine chez les Russes un désir de rapprochement avec les Européens. Je crois que les Russes ne sont pas ravis d’être rejetés par les Occidentaux dans les bras des Chinois.

Malgré les erreurs commises de part et d’autre et malgré la paranoïa qui peut régner dans les états-majors russes, comme dans la presse et les états-majors occidentaux, l’intérêt à moyen et long termes du vieux continent, est de ramener la Russie dans la famille européenne… qu’elle n’aurait jamais dû quitter, puisque depuis Pierre le Grand, il y a eu cette décision stratégique de l’ancrer à la civilisation européenne. Il me semble que le président Macron n’est personnellement pas très favorable aux sanctions. Il sait bien que ses partenaires italiens, espagnols, tchèques, hongrois, grecs et de nombreux autres pays de l’Union européenne, y sont également hostiles. Aujourd’hui, chez les pro-sanctions, on ne trouve plus que la Hollande, l’Allemagne et la Suède, je n’en vois pas d’autres. Peut-être la Pologne et les pays baltes. Mais ce n’est pas dans leur intérêt non plus. Leur intérêt, c’est de faire du commerce avec la Russie.

« Je pense qu’à long terme, la vision gaullienne est la bonne, celle de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. »

Il faut donc une politique et une diplomatie plus tranchées, qui renonce au « en même temps », qui prend des options. Et je suis favorable à une diplomatie qui ferait le pari de la Russie. On peut se tromper, certes. Le général de Gaulle, lui même, avait été très déçu par Moscou, lui qui avait misé sur la Russie avec son voyage de 1966 : on ne peut pas dire que l’expédition russe, deux ans plus tard à Prague, ait été un beau remerciement pour son audace.

Mais je pense qu’à long terme, la vision gaullienne est la bonne, celle de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. J’aurais aimé une politique de Macron qui fasse le même pari, qui persuade Angela Merkel ‒ parce que là les Hollandais et les Suédois auraient suivi ‒ d’abandonner ou, du moins, de réduire les sanctions européennes. J’ai l’impression que les Français attendaient les Italiens pour s’engager dans ce sens, puisque les Italiens avaient promis dans leur campagne électorale de demander la levée des sanctions. Ils n’ont pas eu le courage de le faire. N’oublions pas qu’il suffit qu’un pays ne veuille pas les renouveler pour qu’elles ne le soient pas.

EMMANUEL MACRON LORS DE LA FINALE DE LA COUPE DU MONDE DE FOOTBALL, LE 15 JUILLET 2018 À MOSCOU. CRÉDITS : TASS

LCDR : Certains, à Paris, estiment que cette « remise à plat » ressemble curieusement au reset [redémarrage] proposé en son temps par Barack Obama à Vladimir Poutine. Un reset des relations russo-américaines qui, on le sait, s’est soldé par un échec politique.

R.G. : Je ne crois pas à l’impossibilité d’un dialogue avec les Russes. Ils ont quand même donné beaucoup de gages à l’Occident récemment. Je veux parler de l’aide logistique qu’ils ont apportée aux États-Unis dans la première décennie du nouveau millénaire, pour la guerre américaine en Afghanistan. Il y a aussi, avec eux, une bonne coopération sécuritaire contre le djihadisme. Même aujourd’hui, en Syrie par exemple, Américains et Russes parviennent à se parler.

« Sébastopol est un port russe depuis aussi longtemps que l’Amérique est un État indépendant. »

Nous devons corriger les fautes commises de part et d’autre. Je pense que c’était une erreur d’agiter devant la Russie le chiffon rouge d’une possible intégration de l’Ukraine dans l’OTAN. Elle est inacceptable pour les Russes. Les Occidentaux ont également commis une invraisemblable erreur diplomatique en laissant tomber le magnifique accord intra-ukrainien du 21 février 2014, qu’ils avaient eux-mêmes négocié. On peut comprendre, du point de vue de Moscou, l’annexion de la Crimée : ils voulaient être sûrs que Sébastopol ne tomberait jamais entre les mains de l’OTAN. Sébastopol est quand même un port russe depuis aussi longtemps que l’Amérique est un État indépendant. Mais il y a eu, aussi, une erreur stratégique de la Russie : son intervention dans le Donbass. Je ne vois toujours pas quel était son intérêt. Il y a bien d’autres choses à faire dans cette immense Russie que de s’occuper du Donbass. C’est par leur faute que les Russes ont perdu l’amitié des Ukrainiens. La Crimée, à la rigueur, ça pouvait passer. Mais ils ont humilié à deux reprises l’armée de Kiev, en août 2014 et en janvier 2015.

Aujourd’hui, la priorité est de rétablir la paix dans cette région; de mettre un terme à cette absurde situation de tension dans nos relations avec la Russie. Il suffit d’aller à Moscou, de se promener au parc Gorki, pour comprendre à quel point la jeunesse russe est favorable à l’Occident, à quel point les Occidentaux, lorsqu’ils vont faire du tourisme en Russie, sont bien accueillis. Il y a une proximité, et il ne faut pas se laisser entraîner par les événements, les extrémismes, les miliciens…

LCDR : Vous dites que Berlin souhaite maintenir les sanctions contre la Russie. Mais dernièrement, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, s’est prononcé pour un rapprochement avec Moscou, afin notamment de résister à l’extra-territorialisation du droit américain. L’Allemagne n’est-elle pas en train de supplanter la France dans le rôle d’intercesseur entre la Russie et l’Europe – et, au delà, de l’Occident –, qui est traditionnellement le sien ?

R.G. : En fait, toute l’Allemagne n’est pas antirusse. Angela Merkel a une politique très antirusse parce qu’elle a été profondément déçue par Vladimir Poutine. Elle estimait avoir des liens d’amitié avec lui…

LCDR : Il lui a menti.

R.G. : Poutine lui a menti sur la Crimée, elle ne le lui a pas pardonné. Les chrétiens-démocrates sont traditionnellement plus antirusses. En revanche, les sociaux-démocrates allemands, et les autres partis, d’ailleurs, n’ont strictement rien contre la Russie. Ils estiment, au contraire, qu’il faut que l’Allemagne fasse encore davantage de business avec elle.

Vladimir Poutine et Angela Merkel pendant le dialogue russo-allemand du 18 août 2018. Crédits : kremlin.ru
VLADIMIR POUTINE ET ANGELA MERKEL PENDANT LE DIALOGUE RUSSO-ALLEMAND DU 18 AOÛT 2018. CRÉDITS : KREMLIN.RU

Pour ce qui est du paysage politique français, il faut se rappeler que des quatre candidats majeurs du premier tour de la dernière élection présidentielle ‒ ceux qui ont obtenu plus de 20% des voix ‒, trois sont ouvertement prorusses. Emmanuel Macron est le seul à ne pas l’être. Depuis son élection, il a indéniablement fait un pas vers la Russie, mais dans la vie il faut savoir parfois prendre des risques. Je trouve que sa diplomatie à l’égard de Moscou est amicale, et il a raison sur ce point. Simplement, elle ne va pas assez loin. Je ne demande pas à la France de reconnaître l’annexion de la Crimée. Ce ne sera possible qu’après un accord entre l’Ukraine et la Russie, c’est évident. Mais je pense que l’on pourrait faire le pari de la suppression des sanctions et voir ce qui se passe après.

Il y a des options à prendre, il faut se montrer courageux. C’est ce que la France radical-socialiste n’a pas su faire en 1935. C’était une époque difficile, le régime de Staline n’était pas très attrayant mais, quand les Anglo-Saxons nous ont laissé tomber sur la question de la remilitarisation de la Rhénanie, nous aurions du faire le pari d’une alliance de revers avec la Russie contre l’Allemagne. Ce n’était pas facile et je ne suis pas sûr que Staline ait été particulièrement disposé à s’engager avec nous… Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas essayé. C’est une erreur stratégique que Félix Faure n’avait pas commise avant la Première Guerre mondiale.

« L’Amérique a renoncé au triangle stratégique de Kissinger, qui postulait que Washington devait toujours être plus proche de Moscou et de Pékin que Moscou et Pékin entre elles. »

Aujourd’hui, dans le monde tel qu’il est, face notamment à la montée en puissance de la Chine avec ses politiques de « Routes de la soie », je ne vois pas en quoi un axe Paris-Berlin-Moscou pourrait nuire à nos intérêts. Les Américains y sont très hostiles… Enfin, les Américains, c’est un peu vite dit, il y a une différence entre Trump et le Congrès. Mais l’État profond américain est très hostile à la Russie, ce qui peut se comprendre parce qu’il n’a aucun commerce avec elle. Ce n’est pas notre cas.

Je pense d’ailleurs que l’Amérique se trompe de politique. Elle a renoncé au triangle stratégique de Kissinger, qui postulait que Washington devait toujours être plus proche de Moscou et de Pékin que Moscou et Pékin entre elles. Ce triangle stratégique kissingerien est bien illustré par l’année 1972 avec, en février, la visite de Nixon à Pékin et, en mai, sa venue à Moscou pour la signature du traité SALT. Aujourd’hui, l’Amérique est un catalyseur, par sa politique extrêmement antirusse, du rapprochement entre Moscou et la Pékin, au point que la Russie a invité les militaires chinois à participer aux manœuvres Vostok qui ont lieu du 11 au 15 septembre dans l’Est du pays.

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE RUSSE SERGUEÏ CHOÏGOU ET SON HOMOLOGUE CHINOIS WEI FENGHE. 12 SEPTEMBRE 2018. BASE D’ENTRAÎNEMENT DE TSUGOL, SUD-EST DE LA RUSSIE. CRÉDITS : MIL.RU

C’est une erreur stratégique des américains. La Russie n’est plus en état d’être un concurrent stratégique. C’est la Chine qui l’est, et qui va supplanter les États-Unis. C’est la Chine qui a déjà conquis illégalement plus de mille hectares de terre sur les récifs des Paracels et des Spratleys, ces îlots où elle aménage des bases militaires, qu’elle veut même doter, paraît-il, de centrales nucléaires. Cet expansionnisme maritime chinois, les « Routes de la soie », le pillage systématique de la technologie occidentale, les déficits de commerce énormes entre la Chine et l’Amérique… tout cela est beaucoup plus grave que les Russes qui récupèrent Sébastopol, lequel est, quand même, un port russe.

LCDR : Emmanuel Macron a estimé récemment qu’il n’y avait pas de solution pour la sécurité en Europe sans la Russie. Donc, en creux, il appelle à l’organisation d’une conférence sur la sécurité en Europe. Est-ce que cela vous semble réalisable ?

R.G. : J’appelle depuis longtemps, dans mes chroniques pour le Figaro, à la constitution d’une nouvelle conférence pour la sécurité en Europe. Je ne peux donc que me réjouir, qu’Emmanuel Macron fasse sienne cette idée. Aura-t-il suffisamment de partenaires pour l’épauler, cela reste à voir. Une telle conférence ne peut se faire qu’avec la participation américaine.

Emmanuel Macron est parvenu à instaurer de bonnes relations avec Donald Trump, mais ce dernier n’a pas les coudées franches : il est sans arrêt obligé de prouver qu’il n’est pas prorusse. Le président américain a accepté de venir à Paris le 11 novembre prochain pour assister au défilé militaire du centième anniversaire de la victoire ; mais comme il n’est pas vraiment en mesure de faire une grande politique étrangère, on ne sait pas ce que ça va donner. Et si les Américains ne sont pas associés à cette conférence sur la sécurité en Europe, vous ne pouvez pas compter sur des pays comme, par exemple, la Pologne ou les États baltes, qui sont complètement et volontairement inféodés aux États-Unis, pour des raisons historiques très compréhensibles, qui remontent à la fin des années 1930, très précisément au pacte Molotov-Ribbentrop.

EMMANUEL MACRON, DONALD TRUMP, ET LEURS ÉPOUSES. MOUNT VERNON. 23 AVRIL 2018. CRÉDITS : SHEALAH CRAIGHEAD – FLICKR @WHITEHOUSE

Il y a une autre difficulté pour Macron. C’est un homme, qui, par son énergie, sa culture, sa jeunesse, a suscité, et suscite toujours, beaucoup d’espoirs en Europe. L’Angleterre étant aux abonnés absents, Merkel vieillissante et politiquement affaiblie, il pourrait s’emparer d’un leadership désormais vacant sur le continent. Le problème est que vous ne pouvez pas être suivi par vos partenaires européens si vous n’êtes pas vous-même un exemple. Selon moi, c’est une chose que le président français n’a pas suffisamment intériorisée. Le général de Gaulle a pu construire sa grande politique étrangère parce que sur le plan intérieur, la France était irréprochable et faisait l’admiration de l’Europe entière, sinon du monde entier. Il n’y avait pas de désordre dans les finances publiques, le pays était en croissance, son industrie se développait, sa recherche fonctionnait, son éducation était d’un très haut niveau.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Emmanuel Macron n’a pas encore apporté la preuve, alors qu’il est au pouvoir depuis seize mois, d’une véritable volonté de réforme de l’État français. Tant que les comptes publics du pays n’auront pas été rétablis ‒ et on en est encore loin au vu du dernier budget, qui est un budget « hollandais » ‒ nous n’aurons pas le respect de l’Allemagne et des autres pays. Le couple franco-allemand ne fonctionnant pas à sa pleine puissance, on n’arrive finalement à rien. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Macron veut tout faire en même temps, eh bien non ! Il faut d’abord rétablir les comptes publics français. Pour développer cette grande politique étrangère, que le président français dessine fort intelligemment, il nous manque cette indispensable exemplarité intérieure.

« Il y a un attachement de la Russie à la France, à l’âme de la France, bien supérieur à l’importance géopolitique ou économique française dans le monde. »

LCDR : Est-ce que c’est aussi un pré-requis pour avoir la considération de la Russie ?

R.G. : Moins, parce que les Russes ont une vision plus romantique des relations internationales. Pour eux, c’est la France de Louis XIV, de Bonaparte, de Félix Faure… de Charles de Gaulle, de Normandie-Niemen, de la littérature française, des Trois Mousquetaires… qui compte avant tout. C’est une vision, un attachement culturel très fort de la Russie à notre pays, qui remonte au XIXe siècle. À l’époque, toutes les familles russes de la haute société parlaient français. Il y a un attachement de la Russie à l’âme de la France, bien supérieur à l’importance géopolitique ou économique française dans le monde. Je dirais même que dans l’esprit russe… pas dans celui de Vladimir Poutine, qui parle allemand, mais dans l’esprit russe, la France est un pays qui compte peut-être encore plus que l’Allemagne, alors qu’économiquement ce n’est pas le cas. Je pense donc que cet aspect est moins important pour les Russes, qui d’ailleurs n’offrent pas chez eux un modèle de gestion à faire pâlir d’envie les Français ! Rires.

Hungary’s Democracy Is in Danger, E.U. Parliament Decides

By Patrick Kingsley and Steven Erlanger

European lawmakers voted by a wide margin on Wednesday to begin a punishment procedure against Hungary for potentially breaching democratic norms, a measure never previously initiated by the European Parliament.

The vote was only the first step toward potential sanctions. The leaders of the European Union’s 28 member states must ultimately decide if the government of Prime Minister Viktor Orban is at fault, and whether it should be punished.

But it was nevertheless a meaningful moment in contemporary European politics, because it showed Mr. Orban — for years sheltered by Europe’s center-right leaders, even as he undermined the rule of law in Hungary, criticized European institutions, and became a hero of the far right — losing the support of most of his allies in the European mainstream.

The measure passed 448-197, narrowly meeting a two-thirds threshold needed to validate it, after a majority of Mr. Orban’s conservative alliance broke with him.

That alliance, the European People’s Party, whose members include the leaders of the European Parliament, European Commission and European Council, as well as Chancellor Angela Merkel of Germany, had avoided publicly criticizing Mr. Orban, despite rising external objections to his autocratic tendencies in Hungary and his shift toward more extreme positions on European identity, migration and integration.

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Prime Minister Viktor Orban of Hungary addressed the European Parliament on Tuesday.CreditFrederick Florin/Agence France-Presse — Getty Images

That changed on Wednesday, when 115 members of the alliance voted against Mr. Orban’s government. Only 57 voted to support him, while 28 abstained. Manfred Weber, the alliance’s leader in the European Parliament, and Chancellor Sebastian Kurz of Austria, who leads another party in the alliance that has shifted right, both backed the measure.

The government of Hungary said the vote was not valid, because it did not reach the two-thirds threshold once abstentions were included.

Considered for much of his career a conventional center-right politician, Mr. Orban began to arouse criticism after returning to office in 2010 with an unexpectedly large majority that he used to stack the Hungarian constitutional court with loyalists, reshape the electoral system, and install loyalists at the top of major state institutions.

Five years later, he emerged as a hero to the far right after calling for the legalization of the death penalty — banned by European Union convention — and for an end to liberal democracy. His opposition to European migration policy and his call for a “cultural counterrevolution” in Europe put him in conflict with the European Union’s leadership.

But Mr. Orban’s own political alliance publicly stood by him, and might even have voted with him on Wednesday but for his increasingly provocative behavior since the start of the year.

This summer he has appeared more comfortable in the company of far-right figures such as Matteo Salvini, the new Italian interior minister, and Stephen K. Bannon, President Trump’s former chief strategist, than with his traditional allies in the center-right alliance.

The final straw came in a fractious private meeting of the alliance Tuesday night, when Mr. Orban refused to make any compromises, even claiming that he had no control over the actions of his lawmakers in Budapest, according to two people present at the meeting. The argument lasted for so long that the alliance’s interpreters left, leaving the members to debate in English rather than their mother tongues.

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A key moment came when both Manfred Weber, left, and Chancellor Sebastian Kurz of Austria, right, decided to support the censure of Hungary.CreditHans Punz/Agence France-Presse — Getty Images

The parliamentary vote came on the same day that Jean-Claude Juncker, the president of the European Commission, made what is expected to be his last “state of the union” speech before European Union elections next spring.

Mr. Juncker called for the bloc to be more aggressive in exercising its collective power, especially to defend a multilateral world order under threat from President Trump, Russia and China.

“The geopolitical situation makes this Europe’s hour: The time for European sovereignty has come,” Mr. Juncker said grandly.

“Whenever Europe speaks as one, we can impose our position on others,” he said, arguing that a deal he struck in July with Mr. Trump to try to negotiate a solution to a potential trade war showed the power of unity.

The union is largely united on trade issues, but has deep divisions on questions such as migration, security, values, and challenges to democratic and legal norms from central European members, especially Hungary and Poland.

Mr. Juncker, a federalist of the old school, also called for the euro currency to become more of a rival to the dollar for purchases of energy and high-tech European products like airplanes. The Europeans are struggling to preserve a nuclear deal with Iran in the face of American opposition, but are stymied by American secondary sanctions, given the dominant role that the dollar plays in international trade and banking.

He also called for more investment in European defense, and for controlling migration by shoring up the bloc’s external borders and investing in countries from where many of the migrants originate.

Back Shifting alliances in South Asia

11 September 2018

Prince Michael of Liechtenstein, GIS Reports

The triangle of China, India and Pakistan is a region where tensions are high. Ever since the mismanaged and partially forced creation of India and Pakistan when the subcontinent gained its independence from the United Kingdom, the two countries have been at odds, fighting four wars against each other – three over the division of Kashmir. At the border between China and India, there are still disputed territories. These two powers have also waged war against each other. Today, areas of conflict remain.

Both China and India have become more assertive in recent decades. China is challenging the United States for global hegemony and believes it is entitled to Asian predominance. India claims the role of leading power in South Asia, the southern flank of the Himalayas and especially the Indian Ocean.

Historically – mainly during the Cold War – India saw itself as leader of the nonaligned nations, though it leaned toward the Soviet side. Pakistan was an ally of the U.S.

New alliances

Lately this has changed. As China’s influence has risen, the U.S. and India have grown closer. The Americans pivoted toward India mostly due to the countries’ mutual interest in containing China. Neither power wants the Chinese presence in the Indian Ocean to get any stronger.

Chiefly due to U.S. sensitivity regarding Pakistan’s policies toward Afghanistan, relations between those two nations cooled. This gave China a tremendous opportunity to access the Indian Ocean through Pakistan and western China. China’s interests are manifold: its less-developed western regions obtain access to the sea, it gains an additional inroad to the Indian Ocean and it allies itself with one of India’s main rivals.

In this context, China is establishing the China-Pakistan Economic Corridor, a branch of its huge Belt and Road Initiative (BRI). It will include railways and highways across the Himalayas, through Pakistan to the port of Gwadar, which China is developing on the coast of the Arabian Sea. On the surface, this might look like an advantageous boost to Pakistan’s economy, but the result will be increased debt to China, as well as more political and economic dependence.

Nepal is situated on the southern flank of the Himalayas and is open to India’s heartland. Previously, Nepal’s politics and economy had been strongly dominated by India. Today, China is courting Nepal, improving roads between the two countries and offering access to its ports. China may thus develop another ally on India’s border.

Charm offensive

The U.S. is trying to counteract China’s efforts. Last week U.S. Secretary of State Mike Pompeo and Chairman of the Joint Chiefs of Staff Gen. Joseph Dunford visited Pakistan. The countries agreed to “reset” the relationship and reached an understanding that the Trump administration and the new Pakistani government would try to meet each other’s expectations. Just a few days earlier, President Trump had canceled $300 million in military aid to Pakistan. Pakistan’s new prime minister, Imran Khan, had taken office only a couple of weeks prior.

The next day, Secretary of State Pompeo and Defense Secretary Jim Mattis met their Indian counterparts in New Delhi and finalized defense pacts that could bring their militaries closer amid growing Chinese influence across Asia.

The countries are considering carrying out a major joint military exercise, and the U.S. will support India’s construction of another aircraft carrier. Washington will also refrain from taking any measures against India for importing Iranian oil, suggesting only that New Delhi should reduce the quantity. In contrast to Washington’s actions toward Turkey, Secretaries Pompeo and Mattis did not threaten India for its plans to purchase an S-400 air-defense system from Russia. This shows how important it is for Washington to keep India on its side.

Just after Secretary Pompeo’s departure, Chinese Foreign Minister Wang Yi visited his Pakistani counterpart Shah Mahmood Qureshi. Islamabad confirmed that the China-Pakistan Economic Corridor remains a top priority under Prime Minister Khan. Mr. Wang and Mr. Qureshi both emphasized the value of the corridor for Pakistan, potentially sending a message to Washington.

Nuclear deterrent

The tensions between India, Pakistan and China are explosive. India has disputed territories with both of the other two countries. Indian Prime Minister Narendra Modi has followed Hindu nationalist policies, which tend to alienate India’s 170 million Muslims and therefore provoke Pakistan, an Islamic republic. China has the superior military by far, and claims that the northeastern Indian state of Arunachal Pradesh – with some 1.3 million inhabitants – is rightfully Chinese territory.

However, a clash is more likely to occur between India and Pakistan, with Beijing supporting Islamabad. In consequence, Washington would step in on New Delhi’s side. That all these countries are nuclear powers actually stabilizes this situation somewhat – for the moment. As tensions rise, this factor could lose strength as a deterrent.

Sweden’s Centrists Prevail Even as Far Right Has Its Best Showing Ever

By Christina Anderson and Steven ErlangerThe New York Times

STOCKHOLM — Sweden looked set for a period of political confusion after election results on Sunday put a center-right bloc and the governing center-left coalition neck and neck, while a far-right, anti-immigration party came in third — winning a higher percentage of the vote than ever before, but achieving less of a breakthrough than polls had suggested.

With more than 99 percent of ballots counted, the national election commission reported that the governing center-left Social Democrats had 28.4 percent of the vote, making it the largest single vote-getter, but handing the party its worst showing in decades.

The center-right Moderate party was next at 19.8 percent, while the far-right Sweden Democrats were running third, with 17.6 percent, up from 12.9 percent in 2014 but a less successful showing than many Swedes had feared. Some polls had predicted that the Sweden Democrats would come in second, with more than 20 percent of the vote.

The red-green bloc of center-left, leftist and environmental parties, led by the Social Democrats, had 40.6 percent of the vote. The center-right alliance, led by the Moderates, was just behind with 40.3 percent. The results mean neither bloc can command a majority in Parliament, and both have rejected the idea of any deal with the Sweden Democrats.

The campaign was unusually polarizing in a country known for seeking political consensus. The main issues were also the most contentious: immigration, crime, the welfare state and, after a summer of forest fires, the environment.

For some voters, the fierce debates were a welcome change.

“In Sweden we have been too afraid to discuss the issues,” said Anders Nilsson, 54, an I.T. engineer who voted for the Center party in Botkyrka, a diverse suburb south of Stockholm. “Now we dare to discuss tough questions.”

This election has been one of the most closely watched in Sweden’s recent history, with a focus on how the Sweden Democrats would perform given the rise of anti-immigration populist parties in countries like Germany, Italy and Austria.

“The world’s eyes are on Sweden and the path it takes,” Annie Loof, the head of the Center Party, said in a debate before the vote.

The Social Democrat prime minister, Stefan Lofven, who runs a minority government of the center-left, had warned voters on Saturday not to cast their ballots for what he called a “racist” party.

“This election is a referendum about our welfare,” he said. “It’s also about decency, about a decent democracy and not letting the Sweden Democrats, an extremist party, a racist party, get any influence in the government.”

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Voting in Strangnas, west of Stockholm.CreditErik Simander/Agence France-Presse — Getty Images

Jimmie Akesson, the leader of the Sweden Democrats, told supporters on Saturday that the current government had “prioritized, during these four years, asylum-seekers,” listing failures to do more for health care, housing and pensioners. “Sweden needs breathing space,” he said. “We need tight, responsible immigration policies.”

The results on Sunday followed another recent European election pattern: the shrinking of mainstream parties of the center-left and the center-right as they lose votes to more extreme parties on both sides of the political spectrum, as well as to environmentalist parties.

In Sweden, this shift has raised questions about whether the main parties will keep their vows to have no dealings with the Sweden Democrats, or whether they will have to reach some understanding with the party, especially on crucial budget votes.

The main parties may try to negotiate some sort of grand coalition, but that would be unusual in Sweden, where minority governments are fairly common.

“This is a new situation for Sweden,” said Soren Holmberg, a political scientist who heads the SOM Institute, an independent research group at the University of Gothenburg. “What is pretty clear is that there won’t be a majority on either side, so it means we have to have a lot of negotiation between the blocs.”

About 7.5 million registered voters chose from almost 6,300 candidates for a four-year term in the 349-seat Parliament.

Arian Vassili, a 23-year-old engineering student who voted Sunday in Botkyrka, said he supported the Social Democrats. “This is an incredibly important election,” he said. “This is an election about values, how you view people, your fellow human beings and whether we are going to take care of each other.”

Maria Enberg, 42, a cook who lives in Botkyrka, said she had voted for the Center party. “The Sweden Democrats have become so big, and I really wanted to vote against them. I don’t want any racist party governing in Sweden.”

The Sweden Democrats’ rise began in 2010, when the party crossed the 4 percent threshold for Parliament seats, getting 5.7 percent of the vote. In 2014, its vote share rose to 12.9 percent, making it Sweden’s third-largest party.

The Sweden Democrats have greatly benefited since the migration wave of 2015, when 163,000 asylum seekers came to Sweden, about 1.6 percent of the population.

Under Mr. Akesson’s leadership, the party has tried to soften its image. It now uses for the party logo a floppy flower in Sweden’s colors of blue and yellow instead of a flaming torch, and the party insists that it will not tolerate racism. But it campaigned on keeping “Sweden Swedish,” cracking down on crime and questioning whether immigrants and Islam will alter the country’s identity.

As in Germany, stricter border controls have been introduced in Sweden, and the numbers of new immigrants has fallen steeply, to about 23,000 this year.

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The Sweden Democrats leader, Jimmie Akesson, before a campaign meeting in Stockholm on Saturday.CreditJonathan Nackstrand/Agence France-Presse — Getty Images

But the political damage had been done, and despite a thriving economy and generally low unemployment, the Sweden Democrats argued that immigration should stop and that resources should go to refurbishing Sweden’s famous welfare state, which is strained by an aging population and the challenge of taking on migrants.

For those born in Sweden, the unemployment rate was 4.4. percent in 2017; for migrants, the number was 15.1 percent, according to government statistics.

During the campaign, the right-wing party spoke directly about traditionally taboo subjects like identity, Islam, integration and crime, winning supporters who felt the traditional parties had been reluctant to touch such sensitive issues. The party, along with the Left party on the other extreme, has benefited from a general sense of discontent and loss of confidence in the political system.

Li Bennich-Björkman, a political scientist at Uppsala University, said it was “sort of shocking” that the Sweden Democrats could come this far, but she noted that the party, which has disavowed its roots in the white supremacist movement, had transformed.

“I would say that the major part of their electorate are not racist and fascist,” Ms. Bennich-Björkman said. “They have managed very skillfully to transform themselves into a variant of the Social Democratic party, just with more nationalist ambitions,” she said.

The Social Democrats, who have dominated the country for a century, built Sweden’s welfare state. But their support has declined from 45 percent in 1994 to just over 28 percent on Sunday. The Left Party had 7.9 percent of the vote, and the Green Party 4.4 percent.

The Moderate party, led by Ulf Kristersson, leads the center-right bloc. He was chosen in October 2017 to head the party when his predecessor, Anna Kinberg Batra, resigned after suggesting that it might be possible to work with the Sweden Democrats. In its alliance, the Center Party won 8.6 percent of the vote, the Christian Democrats 6.4 percent and the Liberals 5.5 percent.

On Sunday night, Mr. Kristersson called on the prime minister to resign. “This government has run its course,” he told a party rally.

With the two blocs so close to each other, negotiations over forming a government are expected to be drawn out. “Usually we are quick in forming a new government,” said Mr. Holmberg, the political scientist. “This time it could drag on for weeks or months.”

Both centrist parties have moved to the right under the pressure of the Sweden Democrats and have promised tougher policies on immigration, the integration of refugees and crime.

Daniel Suhonen, the head of Katalys, a trade union research group, said he saw “very sad” parallels in the United States for the Sweden Democrats’ rise.

“They had a clear answer, like Trump,” he said at a Social Democrats event. “They said all the problems in Sweden are created by an elite that is corrupt and ruined the country with immigration, and you can see that in your bad pension, the lack of affordable housing for your adult children. They said you can solve it if you stop immigration.”

Christina Anderson reported from Stockholm and Steven Erlanger from Brussels.

Les élites doivent écouter les demandes d’identité, de souveraineté et de sécurité des peuples

07/09/2018

JACQUES HUBERT-RODIER | DOMINIQUE SEUX | VIRGINIE ROBERT, Les Echos

En cette fin d’été 2018, le monde vous paraît-il plus dangereux, par exemple, qu’il y a cinq ans ?

Le monde est dangereux sur certains plans et dans certaines régions. Mais il n’y a pas de risque d’enchaînements automatiques, et nous ne sommes pas à la veille d’un affrontement général. Ce sont plutôt nos illusions – occidentales, européennes ou françaises – sur la « communauté internationale » qui s’évanouissent les unes après les autres. A cet égard, Trump est autant un révélateur, une cause, qu’un facteur aggravant. Le plus dangereux c’est le compte à rebours écologique qui n’est pas assez pris au sérieux. Pour le reste, en géopolitique : mer agitée à très agitée partout.

 

La demande de frontières formulée par les peuples préfigure-t-elle un mouvement de démondialisation ?

Les élites sont bien obligées d’admettre que les peuples occidentaux, classes populaires puis classes moyennes, rejettent une mondialisation trop massive et trop perturbatrice et l’immigration de masse. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le monde va se fermer, se « démondialiser ». Personne ne va renoncer à son portable. Je vois plutôt cela, après des excès, comme un balancier qui va se replacer au bon endroit. L’impact social, humain, culturel et identitaire de la baisse des droits de douane et de l’ouverture des marchés et des frontières a été très sous-estimé, c’est donc une correction. Il ne faut pas se faire peur : le monde va rester ouvert, avec plus de régulation, nationale ou internationale, sur les mouvements de personnes.

 

Que dites-vous à ces élites mondialisatrices, selon votre expression ?

Je n’ai pas grand-chose à dire de plus aux entreprises et à leurs dirigeants, sauf d’accélérer « l’écologisation ». Elles font leur job. En revanche, je dis aux responsables politiques et à tous ceux qui ont accès à la parole publique, qu’il faut entendre les demandes d’identité, de souveraineté et de sécurité des peuples, au lieu de s’en indigner, les canaliser, y répondre.

 

Quand on voit la façon dont fonctionnent les relations internationales aujourd’hui, notamment avec Donald Trump, le multilatéralisme est-il vraiment mort ?

Il est un idéal pour nous et une pratique en Europe, mais dans le monde d’avant Trump la coopération internationale n’était pas la règle ! Les Américains, y compris Bill Clinton, ont souvent habillé leur imperium derrière une apparence de concertation. Mais au moins elle était là. Le fait que Donald Trump casse ces illusions peut être dévastateur dans la mesure où il fera des émules.

 

Trump pèse-t-il vraiment sur un sujet comme le réchauffement climatique ?

Il est très nuisible mais il ne peut pas empêcher les Etats-Unis, avec tous leurs chercheurs, leurs villes, leurs entreprises, d’avancer dans la transition écologique. Il met seulement l’administration fédérale hors jeu, pour un temps. De même, s’il y avait une avancée de la coopération internationale pour préserver la biodiversité, les forêts ou les océans, il ne pourrait pas l’empêcher complètement. Mais c’est un handicap.

C’est bien différent sur l’Iran où, grâce à l’omniprésence du dollar, il peut imposer aux entreprises du monde entier un blocus pour provoquer une guerre civile et la chute du régime, comme le veulent Netanyahu et les Saoudiens.

 

Peut-on encore parler d’hyperpuissance à propos des Etats-Unis ?

A nouveau, oui, et peut-être plus encore qu’avant. J’ai parlé d’hyperpuissance en 1997 parce que le terme classique de superpuissance faisait trop « guerre froide » et qu’il me semblait que c’était la plus grande puissance de tous les temps. Après le 11 Septembre, qui a montré une certaine vulnérabilité américaine, j’ai moins employé ce terme, qui a eu sa vie propre. Mais les Américains conservent des éléments de puissance incomparables : le budget militaire, les Gafa, leur pouvoir judiciaire extraterritorial et abusif auquel nul n’a eu le courage de s’opposer depuis des décennies. L’hyperpuissance du président Clinton était rayonnante, assez séduisante, même si elle était arrogante. Elle associait bien les intérêts américains et une idée générale du monde, comme sous Roosevelt, Truman ou Kennedy. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Vous avez de nouveau une hyperpuissance, cette fois-ci brutale, agressivement unilatéraliste et, qui plus est, révisionniste de l’ordre « libéral » américain, ce qui est un paradoxe. Emmanuel Macron ne prend pas Trump de front, mais sur chaque point il ne se laisse pas impressionner, tout en assumant qu’il faut maintenir un lien. Il a raison. Mais la question se pose : que faire malgré Trump ? Et que faire contre lui ?

 

La Chine n’est-elle pas la limite à l’hyperpuissance américaine ?

On verra. Potentiellement, c’est une gigantesque puissance et il n’y a pas de limite apparente à son ascension. Mais dans ma définition de l’hyperpuissance, il y avait aussi la séduction, l’attractivité du mode de vie, cent ans de Hollywood, les universités américaines, avant qu’elles ne soient minées par le politiquement correct, le rêve américain. Les Chinois n’ont pas ça du tout ou pas encore ! Leur réussite est spectaculaire mais leur système n’est pas séduisant. Encore que… En tout cas, pas pour les démocraties établies. Il y a une interrogation sur leur objectif. Les spécialistes de la Chine disent que, méprisant le monde extérieur, ils ne chercheront pas à être prosélytes et ne voudront pas nous convertir à leurs idées, pas de valeurs « chinoises universelles » ! Mais d’un autre côté vous voyez cette puissance économique, multipliée par le nombre, qui permet de neutraliser ou d’influencer déjà 40, 50, 60 voire 70 pays ! De Deng Xiaoping à Xi Jinping, il y a eu des ingénieurs de la décision politique, travaillant dans le temps long, et qui ont bénéficié d’une vraie stabilité.

Depuis les Lumières, les Occidentaux modernes, progressistes, ouverts pensaient être à l’avant-garde de l’humanité. Et voilà que la Chine remet en cause ce rôle, notre supériorité, nos idées ? C’est impensable pour nous ! Il faut pourtant nous préparer à un vaste compromis sur les règles mondiales. Il est urgent de trier dans nos fondamentaux et de voir ce qui est fondamental, et ce qui peut relever d’un compromis avant que les Chinois ne nous mettent devant le fait accompli.

 

Vous ne voyez pas la Chine comme une puissance expansionniste ?

Pas autant que nous le fûmes, d’Alexandre le Grand à Hitler en passant par Napoléon. La Chine fonctionne plutôt comme un commissariat au plan, qui organiserait, en s’assurant de ses apprivoisements et qui les sécurise, une politique de puissance (route de la soie, etc.) à l’instar de celle de l’Empire britannique et de ses bases. Les Chinois ne sont sans doute pas animés par une volonté hégémoniste allant au-delà de ce qui a été l’empire des Qing. Elle veut surtout maintenir son unité et son intégrité rétablies. Je n’exclus pas complètement un affrontement, un jour, entre les Etats-Unis et la Chine sur la libre circulation en haute mer. Mais si, face à cette gigantesque affirmation chinoise, certaines puissances, comme le Japon, Taïwan, la Corée, l’Inde, l’Australie, l’Europe, les Etats-Unis, s’organisent pour ne pas agir en ordre dispersé afin de faire respecter des règles de base, les Chinois feront attention. Il faudrait pour cela dans les démocraties des dirigeants que les systèmes politiques laisseraient mettre en oeuvre de vraies stratégies !

L’axe indo-pacifique est-il une bonne réponse ?

Oui, si on lui donne un contenu crédible avec les pays concernés. Mais le comportement américain pousse plutôt l’Inde vers la Chine.

 

Que pensez-vous de la décision du président américain d’imposer des sanctions contre l’Iran mais aussi contre les entreprises faisant du commerce avec ce pays ?

C’est totalement illégal et, pour ceux qui croient encore un peu au droit international, scandaleux. De plus, irresponsable. Pour l’Europe, la conclusion devrait être simple : tout faire pour ne plus dépendre des Etats-Unis, devenus une puissance erratique, même si nous préférons rester ses alliés. Cela est trop dangereux. Il faut reconstruire notre autonomie monétaire (euro, SWIFT).

 

L’Europe peut-elle devenir une puissance ?

Si l’on met bout à bout le potentiel des Européens sur tous les plans, il est considérable. Emmanuel Macron a fait d’importantes propositions pour une Europe plus forte, mais il faut une volonté explicite et partagée pour les mettre en oeuvre. Créer des mécanismes, des coopérations, des institutions, ne suffit pas. Les Européens ont été autrefois l’incarnation même du jeu des puissances. Après 1945, la construction européenne a intelligemment utilisé la paix imposée par les Soviétiques et les Américains. C’était formidable : il y avait le parapluie américain et le plan Marshall. Mais c’est fini. Pourtant l’idée que l’Europe soit obligée de devenir une puissance dans le monde chaotique d’aujourd’hui terrorise la majorité des Européens…

 

Est-ce que cela peut changer ?

Oui, si on parvient à sortir les Européens du déni et de leur coma stratégique, en leur démontrant que si l’Europe ne devient pas une puissance (raisonnable et pacifique), avec une autonomie stratégique, elle restera… impuissante, et donc dépendante.

 

La zone euro n’est-elle pas le bon espace pour faire repartir l’Europe ?

Il faut la renforcer mais, politiquement, cela ne suffit pas. Que l’euro marche bien, et ne soit pas vulnérable à une autre crise monétaire, est un objectif rationnel, important en soi. Mais cela ne répond pas aux attentes des peuples. On ne passe pas directement d’une zone euro, même perfectionnée, à une relance de l’Europe. Relance de quoi d’ailleurs ? Si cela veut dire plus de construction européenne, avec de plus en plus d’intégration comme le veulent les élites intégrationnistes, les peuples ne suivront pas. Sauf si les dirigeants européens arrivent à se mettre tous d’accord sur la maîtrise des flux migratoires, ce qui rendrait les opinions publiques européennes plus réceptives à d’autres progrès en Europe.

 

Que faut-il faire face à la crise migratoire ?

D’abord sauvegarder le vrai droit d’asile, sans le dévoyer, pour les personnes réellement en danger et, d’autre part, cogérer les flux migratoires économiques avec les pays de départ et de transit, en fonction de nos capacités d’insertion et de nos besoins économiques. On peut imaginer des réunions annuelles avec les pays européens de l’espace Schengen, les pays de départ et ceux de transit, avec une multitude d’accords sur mesure.

Il faut casser le vocabulaire qui est employé à dessein pour tout confondre : demandeurs d’asile et migrants. L’extrême gauche joue la carte migratoire, et de l’islamo-gauchisme. L’extrême droite veut pouvoir dénoncer une invasion générale. Et les ONG ne veulent pas non plus distinguer et parlent de réfugiés à propos de migrants économiques.

 

Certains pays mettent en avant la montée de l’islamisme pour expliquer la peur des musulmans ? Est-ce que cela peut évoluer ?

Cela diminuera si l’islamisme recule ! Pour le moment ce n’est pas le cas. Il suffit de parler avec des dirigeants musulmans qui sont en lutte chez eux, en première ligne, contre l’islamisme. Je connais beaucoup de musulmans marocains, algériens, tunisiens, mauritaniens, égyptiens, etc. qui disent : « vous êtes trop naïfs. Le voile, c’est organisé, c’est parfois payé. Il faut juste l’interdire. » Ils osent dire que l’islamisme, qui s’est emparé du sunnisme, est un nazisme. Pour moi, il faut une alliance, une coalition mondiale des musulmans modérés et des démocrates.

 

La France a-t-elle échoué pour trouver une solution à la guerre civile en Syrie ?

Sur la Syrie, les Occidentaux, et nous en particulier, ont échoué. Ses postulats moraux étaient honorables, mais la politique française des dernières années nous a mis hors jeu. En fait, nous n’avons plus de levier, sauf à nous entendre avec les Russes.

 

Que faire face à la Russie ?

Depuis vingt-cinq ans, les torts ont été partagés entre Occidentaux et Russes. Je ne dis pas que, depuis la fin de l’Union soviétique, elle a été mal traitée, mais elle l’a été de façon idiote. Reconduire sans cesse des sanctions ou haïr Poutine ne constitue pas une stratégie. Il faut en sortir par le haut. Emmanuel Macron a raison de dire qu’il faut réarrimer la Russie à l’Europe, et d’en refaire un partenaire stratégique, même si cela n’est pas facile.

Jacques Hubert-Rodier, Virginie Robert et Dominique Seux