A l’évidence, les débuts du 46e président des Etats-Unis seront dominés par la pandémie de Covid-19 et ses conséquences de toutes sortes. Mais la politique étrangère n’attendra pas. Il est inutile de répéter ici le point de vue dominant parmi les experts reconnus sur le sujet, que l’on peut caricaturer ainsi : changement dans la forme (retour à la pratique classique de la diplomatie, à l’invocation des droits de l’homme, ou encore à une interprétation minimaliste du multilatéralisme), mais continuité dans l’objectif fondamental (America first) et dans l’attitude vis-à-vis des partenaires (« qui n’est pas pour nous est contre nous »). La culture américaine du pouvoir, au contraire de celle des Européens affaiblis par les deux guerres mondiales, est celle des rapports de force. Plutôt que d’enchaîner des lieux communs sur ces sujets, résumons à très grands traits trois points-clé amplement développés dans mes écrits depuis trois décennies. Je me limiterai ici au point de vue européen.
- La cause la plus fondamentale de la chute de l’URSS et donc la fin de la guerre froide fut la révolution des technologies de l’information et de la communication. On peut y voir le fruit du génie américain pour le capitalisme créatif et d’une culture unique dans son genre de soutien réciproque entre l’Etat et les entreprises quand l’intérêt national est en jeu. Cette révolution n’a cessé de s’approfondir depuis les années 1970. Elle est symbolisée aujourd’hui par les GAFA, en quelque sorte les fers de lance de l’Amérique conquérante.
- La vague libérale qui a submergé le monde entre la chute de l’URSS et la crise financière de la fin des années 2000 – en un temps où la Russie était hors-jeu ou très faible, et la Chine encore modeste (son PIB était à peine égal à celui de la France quand elle a rejoint l’OMC en 2001) – a d’abord profité aux Etats-Unis. L’Amérique a ainsi pu consolider sa domination sur les pays peu soucieux d’indépendance nationale. Ce fut le cas des Européens, désormais soumis à l’extraterritorialité des lois américaines. La vague libérale a également bénéficié à la Chine. Grâce à un effort extraordinaire dans le secteur éducatif, celle-ci a fort habilement utilisé sa situation de réservoir mondial de main d’œuvre à bas coût pour réaliser les gigantesques transferts de technologies grâce auxquels son accès à la primauté au cours du XXIe siècle est devenu une possibilité sérieuse.
- La réalité de base pour les prochaines décennies est la compétition stratégique sino-américaine, vis-à-vis de laquelle les puissances de second rang, comme l’Union européenne en tant qu’unité politique, devront prendre position. Donald Trump voulait se retirer de l’OTAN. Joe Biden voudra sans doute la renforcer, c’est-à-dire dans son esprit, rallier ses membres derrière la bannière étoilée, politiquement et économiquement, dans la lutte contre la Chine. Pour les Européens, dont l’appétit pour un rapprochement stratégique avec la Chine n’est pas débordant et qui, contrairement aux principales puissances asiatiques, n’ont pas brillé dans la course technologique, la tentation de s’en remettre encore plus que pendant la guerre froide au protectorat américain pourrait être irrésistible. Mais avec quelle perspective de long terme, et dans quelles conditions s’agissant de son voisinage immédiat en Europe de l’Est, au Moyen Orient et en Afrique ? Telle est la question.
Dans l’immédiat, les Européens se réjouissent de l’élection d’un président américain à nouveau empathique qui leur fera bon accueil dans le bureau ovale et ailleurs. Ils ne sont pas les seuls à aspirer au répit, à un moment où ils font face à l’ennemi invisible qui les menace comme il menace les Américains. Puisse l’Alliance atlantique à court terme être d’abord l’alliance contre le virus. Pour une fois dans son histoire, n’avons-nous pas l’occasion de réinterpréter l’article 5 du traité et de mobiliser toutes les ressources de l’OTAN pour un combat collectif contre la pandémie ?